Seriez-vous capable de nommer spontanément quelques grands noms de la mode québécoise des dernières décennies? Bien sûr, on connaît Michel Robichaud et Jean-Claude Poitras. Mais les autres? Dès le début du dernier siècle, des vêtements portaient la griffe de couturiers québécois... tombés dans l'oubli depuis. Dès demain et jusqu'au 20 septembre, le Musée du costume et du textile du Québec fera revivre les créations de designers d'ici avec l'exposition Griffé Québec.

«Le milieu de la mode québécoise est très dynamique, mais je ne sais pas à quel point les Québécois se l'approprient, se demande Suzanne Chabot, commissaire de l'exposition. L'an dernier, les gens se ruaient au musée pour voir l'exposition sur le couturier français Yves Saint Laurent. Les gens ont besoin de voir du beau. Mais que sait-on de l'héritage qu'ont laissé nos couturiers? Il y a une histoire avant les créateurs d'aujourd'hui. Notre devise est je me souviens, mais on a la mémoire courte.»Pour pallier ce trou de mémoire collective, l'exposition Griffé Québec, qui se veut sans prétention, ressortira de leurs réserves quelques trésors du patrimoine vestimentaire québécois. Une cinquantaine de vêtements griffés provenant de collections muséales et privées seront exposés dès demain au Musée du costume et du textile du Québec. Dès le 26 juin, un deuxième volet, davantage axé sur l'histoire du patrimoine industriel textile du quartier Centre-Sud, viendra compléter l'exposition à l'Écomusée du fier monde.

Le couturier Michel Robichaud, dont plusieurs pièces sont présentées au public, se réjouit de cette initiative. «C'est important de faire connaître les Québécois qui ont marqué l'histoire de la mode, la plupart des gens les connaissent très peu. Avant l'avènement du prêt-à-porter, la mode était plus élitiste et très glamour. La vie mondiale était importante, avec ses galas et ses soirées. On dépensait beaucoup pour s'habiller et on prenait plaisir à le faire», affirme M. Robichaud, qui a notamment habillé les épouses des premiers ministres Jean Lesage et Robert Bourassa.

La plus vieille pièce de Griffé Québec? Une robe de mariée bleu foncé signée Colpron D'Anjou. Elle date de 1938. «Elle est magnifique et très design, note Suzanne Chabot. La mère de la donatrice l'a portée en pleine guerre, il n'était surtout pas question pour elle de se marier en blanc.»

Des vêtements conçus par Clairette Trudel, aujourd'hui âgée de 89 ans, sont aussi exposés. La styliste habillait la bourgeoisie de Trois-Rivières dans les années 50, durant la Grande noirceur. Sa maison de couture, sise dans une résidence cossue de 27 pièces, était réputée. «Elle achetait les plus beaux tissus à Paris, dit Mme Chabot. Elle a même fait venir des mannequins de chez Christian Dior pour présenter un défilé à Trois-Rivières!»

John Kelly, très populaire à Québec, offrait pour sa part un «look total» à ses clients. «Il est mort jeune, avant l'arrivée du prêt-à-porter. Il confectionnait des vêtements, des gants, des chaussures. Il offrait des cours de maintien et montrait comment porter le chapeau et le sac.»

On présente des vêtements à la coupe et à la confection bien exécutées, du bibi effronté de la modiste Yvette Brillon aux petits manteaux de Marielle Fleury, mais aussi des pièces plus extravagantes comme le déshabillé sexy et vaporeux de Marcel Martel et les robes du Montréalais d'origine Arnold Scaasi. Après avoir vécu dans le quartier Mile End, ce créateur a étudié la mode en France et en Italie et fait carrière à New York, sur la recommandation de Christian Dior. «Il a notamment habillé Barbra Streisand lors de galas. Ses vêtements, c'est la démesure américaine, avec beaucoup de paillettes et des décolletés qu'on aurait moins osé porter ici. Ce sont de très belles pièces audacieuses», souligne Suzanne Chabot.

Sont aussi en vedette les créations de Marie-Paule Nolin, Jacques de Montjoye (qui a habillé Donald Lautrec), Raoul-Jean Ferré, Hugh Garber, Jean-Claude Poitras, Marie Saint Pierre, Christian Chenail et Jean Airoldi. «On peut voir l'influence d'une époque dans les créations. C'est ce qui est formidable avec la mode, on suit l'évolution de la société. Qui sait, ça inspirera peut-être de jeunes designers», note Michel Robichaud.

Y a-t-il une mode québécoise? Selon M. Robichaud, «la mode est internationale et les créateurs se démarquent par un style original qui leur est propre». Suzanne Chabot ajoute: «Comme pour tous les arts, quand on arrive à une bonne expertise et une bonne dextérité, l'oeuvre d'art transcende le lieu de création et devient universelle.»

Griffé Québec

Du 19 juin au 20 septembre: Musée du costume et du textile du Québec (349, Riverside, Saint-Lambert).

26 juin au 20 septembre: Écomusée du fier monde (2050, rue Amherst, Montréal).

Tarif: 6$ pour les deux accès.

Informations: 450-923-6601 et 514-528-8444.