Il faut le faire. Un philosophe français s'est intéressé à l'histoire du bronzage. Le plus sérieusement du monde. Conclusion? Ce rituel estival serait moins innocent et surtout plus politique qu'il n'en a l'air.

Si si, vous avez bien lu. Politique. D'abord, parce que qui dit bronzage, dit blanchitude. «C'est une problématique de blancs. C'est un terme colonial. C'est le blanc qui veut colorer sa peau», explique Bernard Andrieu, professeur de philosophie à l'université de Nancy, et auteur de Bronzage, une petite histoire du soleil et de la peau, publié l'an dernier aux éditions CNRS.

 

En bronzant, le blanc cherche en quelques sortes à se «dédoubler», poursuit-il. Limite Kafkaïen, il cherche ce «dédoublement esthétique» afin de réaliser une «mutation rituelle et éphémère de la peau». «L'intérêt réside dans son aspect éphémère», précise le philosophe. Pas question d'être bronzé à l'année (quoique ...) «L'idée, c'est de montrer que l'on peut être noir, sans l'être». Pour prouver, finalement, que l'on est en santé. Car socialement, «dans les normes esthétiques», une personne bronzée (et non brûlée, mais nous y viendrons) est une personne qui prend soin de son corps.

Mais cela n'a pas toujours été. L'acte, tout comme le verbe (bronzer) sont aussi relativement récent. À la fin du 19e siècle, le bronzage n'est pas du tout esthétique. Au contraire. On a peur du soleil et on s'en protège. Le terme «bronze», fait plutôt référence à la couleur de la peau des travailleurs paysans.

C'est à Coco Chanel, dans les années 1920, que l'on attribue la conscience de la valeur esthétique du bronzage en France. Avec Chanel, le corps de la femme est en effet «décorseté», exposé davantage, en un mot, libéré.

L'acte, qui implique nécessairement une certaine forme de loisirs et de farniente, naît finalement dans les années 1930, plus spécifiquement en 1936 en France, avec l'avènement des congés payés. «Au départ, ce n'était qu'une pratique bourgeoise, qui impliquait que l'on passait du temps en Côte d'Azur, ou à Deauville, dit-il. Mais avec les congés payés, cela va se démocratiser.»

«L'intérêt de bronzer, résume le philosophe, c'est de le montrer. C'est de démontrer que, socialement, on a le temps de partir et de bronzer.»

Suivra ensuite en 1946 l'invention du bikini, qui permet de dévoiler au soleil des parties du corps jusqu'ici inexposées. «Jusque là, on se baignait quasi habillés!»

Les choses vont changer sensiblement dans les années 1970, avec l'apparition des premiers cancers de la peau, en Australie et aux États-Unis. Mais la tendance ne basculera pas pour autant. Elle sera plutôt nuancée. C'est à cette époque qu'apparaîtront les premières crèmes protectrices, et les indices de protection solaire. «Aujourd'hui, on sait que le soleil fait vieillir la peau, mais on essaye d'inventer des stratégies, toutes sortes de crèmes, pour pouvoir bronzer en dehors du soleil, avec les auto-bronzants, notamment, conclut-il. On a bien compris qu'il ne fallait pas se brûler la peau. Les gens se protègent, mais veulent quand même être bronzés.»

Pourquoi cette obstination? «Parce que c'est une façon de mettre un costume pendant un temps éphémère. Cela permet de ne pas complètement basculer dans l'altérité, répond-il. Tout cela fait partie de la culture du corps.»

Bronzage est le premier d'une série de quatre livres décortiquant les relations qu'entretient l'homme contemporain avec les quatre éléments: le feu (d'où Bronzage), l'air (la respiration), l'eau (l'immersion) et la terre (le retour à la terre). Le deuxième tôme, Prendre l'air, vers l'écologie corporelle, qui analyse la respiration dans le climat pollué ambiant, sera en librairie prochainement.