Voilà maintenant près de 16 ans que je suis critique de restaurant et je commence à avoir une petite idée de ce qui fait une bonne histoire. De grands restaurants spectaculaires. Des tables créatives, intelligentes, où l'on sait réellement cuisiner. Des institutions qui maintiennent le cap. Des troquets exotiques où des immigrés ou enfants d'immigrés nous font découvrir des saveurs et nous amènent en voyage avec eux. C'est cliché, mais c'est vrai.

Et puis il y a tous ces petits restaurants partis avec trois fois rien qui gagnent leur pari parce qu'ils font soigneusement leur travail avec le sourire et beaucoup de bonne volonté, en aménageant leur lieu avec des idées plus que de l'argent, qui sont parfois dans des quartiers excentrés, mais qu'on a, finalement, juste envie d'encourager.

Le Café Denise fait partie de ceux-là.

Oui, Denise, du nom de la concierge de l'immeuble de la rue Beaumont, dans Parc-Extension, tout près de l'avenue du Parc, où un trio de jeunes gens du cinéma, Ménaïc Raoul (productrice), Khoa Lê (réalisateur) et Mathieu Laverdière (directeur photo) ont posé leurs pénates et lancé ce joli café.

Ce que j'ai aimé de chez Denise?

D'abord l'accueil. On n'avait pas de réservation. La salle était pleine.

Le maître d'hôtel - Khoa Lê - s'est cassé la tête pour trouver une solution. On était pressées, donc ça tombait bien. Tout s'est arrangé.

Ensuite, quand on s'est assises, j'ai commencé à observer la déco. Quand on est soi-même dans les rénovations, on se met comme ça à étudier les planchers et les poignées de porte. Et là, j'ai constaté des détails soignés, intéressants. Comme l'élégance actuelle de la grande table réfectoire qui occupe la place centrale du petit espace d'à peine plus de 20 places. Faite sur mesure par des ébénistes de F&Y, elle est étroite et plantée sur des pieds tubulaires surdimensionnés originaux. Les bancs sont bas, mais solides. Et tout aussi sympathiques.

Par terre, le plancher flottant est peint maison. Des plantes sont suspendues dans des pots de céramique, comme dans l'enfance des X et comme les milléniaux adorent. Mais ce qui donne le ton au lieu, c'est ce long éclairage linéaire au centre de la pièce, et les décorations lumineuses en néons multicolores en appoint. Les proprios sont en cinéma et, visiblement, croient à la force des atmosphères qui se façonnent en lux.

Et à table?

La chef Sophie Verronneau propose une cuisine vietnamienne, moderne. Des banh mi à midi au boeuf roulé dans les feuilles de bétel le soir.

Et si j'ai un plat à vous conseiller, c'est celui-là. Et il y en a assez pour deux.

De la viande marinée dans le soja et les épices, presque laquée, enroulée dans des feuilles bien vertes et servie sur une montagne d'autres feuilles vraiment fraîches et craquantes. De la laitue pour enrober tout ça, de la coriandre, de la menthe, du basilic...

On apporte aussi à table un plat spécial pour transporter des feuilles de riz sans les briser et de l'eau afin de les faire fondre. Ainsi, on emballe dans ces minces pellicules comestibles toute cette viande et verdure pour tremper ensuite ces petits paquets dans la sauce.

D'ailleurs, il faut que je vous parle de la sauce. Pas celle aux arachides, que j'ai trouvée incroyablement délicate et soyeuse, mais à la limite du fade. Non, celle au gingembre et à l'ananas, émulsionnée avec de la sauce de poisson.

C'est sucré, mais pas trop, frais, parfumé, assez salé. Une fois de plus, on m'a prise en flagrant délit de la terminer en raclant le fond du bol.

En entrée, avant ça, j'avais choisi les dumplings de taro.

Qu'est-ce que le taro? Vous savez, les super bonnes croustilles qui coûtent très cher dans les boutiques de produits naturels, qui sont faites avec autre chose que des pommes de terre? Il y a toujours un peu de taro dans ces mélanges. Une racine beige avec des taches et des stries plus foncées.

Eh bien, on utilise des tranches incroyablement minces de taro pour envelopper une farce aux crevettes, on ferme le tout façon dumpling, et on frit l'ensemble. Donc, les dumplings sont un croisement entre les ravioles asiatiques traditionnelles et des chips. C'est léger, croustillant, beaucoup plus fin que les rouleaux préparés avec les pâtes frites conventionnelles. Franchement, j'ai adoré. Et je ne suis pas une fan de friture au départ.

En face de moi, ma fille a choisi la salade de concombres aux algues, une combinaison un peu crémeuse, relevée à l'ail et au gingembre que j'ai terminée goulûment. En plat principal, elle a pris la soupe Bun Bo Huê, une riche combinaison de bouillon plus opaque que les bouillons des pho traditionnels. Il y a aussi des nouilles costaudes, des morceaux de boeuf fondant dans la bouche, comme de la langue braisée, et on sert le tout avec du chou râpé et du basilic. C'était chaud, réconfortant.

Au dessert, le tapioca aux feuilles de pandan, au parfum un peu vanillé, nous a déçues, comme si par excès de soucis de subtilité, on l'avait laissé sans assez de goût. Ceci n'a pas pour autant terni le souvenir d'un repas dans un restaurant où l'on pourrait certes travailler un peu plus sur les assaisonnements pour les rendre plus marqués - sauces, dessert -, mais qui reste néanmoins vraiment très sympathique.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Les dumplings de taro

Café Denise, 386, avenue Beaumont, Montréal, 514 664-4637.

cafedenise.ca

Notre verdict

Prix: Midi: salades et soupes-repas à 8 $. Soir: entrées entre 4 $ et 9 $, plats entre 13 $ et 19 $.

Carte de vins: Petite carte très sympathique et abordable, de vins naturels et artisans. Quelques cocktails.

Décor et atmosphère: On s'assoit à une grande table réfectoire ou sur de minuscules tables pour deux ou trois. L'espace n'est pas immense. Déco soignée, riche par ses idées. Éclairages de couleurs. Savon pas industriel dans la salle de bains. Un mercredi soir, le restaurant était plein de gens enjoués, surtout dans la trentaine je dirais, style créatif ou techno. Trame sonore originale mais pas tonitruante.

Service: Affairé, affable.

Plus: De la bonne cuisine abordable dans un décor charmant, moderne et offert par des gens sympathiques.

Moins: Un dessert de tapioca et de la sauce un peu fades.

On y retourne ? Absolument.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Le boeuf roulé dans les feuilles de bétel