J'ai fait la connaissance des poke (prononcer po-ké) quand j'étais en reportage en Californie l'an dernier. Je me rappelle très bien l'expression effarée du gars dans sa cantine roulante, à San Francisco, quand je lui ai demandé ce que c'était, car il en offrait plusieurs variétés, entre les smoothies protéinés verts et les bols d'açaï, un autre plat dont je ne connaissais pas la teneur.

Demander à un gars de cuisine de rue californien ce qu'est un poke, c'est à peu près comme demander à une fille de Plateau ce qu'est une poutine. Son visage me traitait gentiment de perdue, avec ce brin de pitié qu'on réserve aux cas lourds de l'ignorance.

«Ça vient d'Hawaii», m'avait-il répondu. On mélange du poisson cru avec de la sauce relevée, et on sert ça sur du riz.

- Un peu comme un croisement entre le sushi et le ceviche?

- Oui. Mais dans un bol.»

Ce jour-là du printemps 2016, j'ai essayé mon premier poke, et j'ai aimé. C'était effectivement bien relevé, mais aussi très parfumé à l'asiatique, avec des oignons verts, du gingembre, du sésame, de la sauce soya, et préparé avec du thon très frais et du riz entier encore un peu croquant. De l'exotique nouveau rempli de promesses de santé comme les aiment les adeptes du granolisme, mais dans l'étroite sous-catégorie des plats qui ont bon goût, comme le toast à l'avocat ou la limonade au piment et aux agrumes.

Revenue à Montréal, j'ai recroisé le concept chez Venice, un restaurant californien du Vieux-Montréal, sans que cela ne m'impressionne outre mesure, le mélange manquant de parfums marqués.

Et puis, les gens derrière le Habanera (plutôt cubain), le Biiru (plutôt japonais) et l'Escondite (plutôt mexicain), trois lieux sympathiques du centre-ville aux décors spectaculaires et aux menus pas compliqués mais savoureux destinés à une clientèle jeune, se sont lancés dans l'idée de créer des bars à poke.

Il fallait que j'aille essayer ça.

Leurs deux nouvelles adresses s'appellent Koa Lua, ce qui a le son d'un nom hawaïen, vous en conviendrez. Il y a un comptoir tout simple rue Union, entre l'Escondite et le Habanera. Et il y a une autre adresse, rue Sainte-Catherine Ouest, près de McKay, donc près de l'Université Concordia, qui est plus grande et ouverte plus tard.

Dans les deux cas, toutefois, il s'agit bien de comptoirs sans service aux tables et sans permis d'alcool. Les seules boissons sont des boissons gazeuses ou alors des jus mélangés. Le menu est prometteur: riche combinaison de lait de coco et de jus de mangue, d'abricot et de canneberge blanche, ou encore un mélange d'argousier, d'ananas et de kéfir, ou encore goyave, orange sanguine, ananas et carambole. Mais en trois visites, j'ai réussi seulement une fois à tomber sur les jus en question, qui étaient autrement toujours en rupture de stock.

Malheureusement, ce n'est pas la seule chose qui trahit un certain côté «broche à foin» de toute l'opération. Lors d'une visite rue Sainte-Catherine Ouest, par exemple, j'ai constaté que les toilettes étaient particulièrement sales. Ce n'est pas non plus nécessairement facile d'être servi en français et d'obtenir des réponses claires aux questions...

Dans l'assiette, toutefois, ou plutôt dans le bol, les poke sont intéressants.

Un classique: le Mama California, où l'on combine du saumon avec de la mayonnaise épicée, du crabe, de la papaye marinée, des flocons de tempura - la panure frite japonaise - et du tobiko, des oeufs de poissons volants, avant de le déposer sur du riz. Le Papa California, lui, met plutôt de l'avant du thon - on n'a pas réussi à savoir de quel type - avec les mêmes ingrédients et une finale en coriandre. Partout, on profite aussi du croquant d'un peu de carotte ou d'oignons verts.

Les mélanges préconçus sont savoureux.

Le Black Magic, de son côté, avec du saumon, des algues nori et des jalapenos, est savoureux et bien relevé.

Le désavantage de ce lieu, comparé au populaire Poké Bar de la rue Crescent, une autre adresse courue chez les étudiants, c'est qu'on ne fait pas de mélanges sur mesure. À cet autre établissement, le poke est réellement préparé avec les ingrédients que l'on choisit: crevettes, avocat, oignon vert, coriandre, maïs... La liste est longue.

Le bon côté du Koa Lua, en revanche, c'est le lieu décoré de façon ludique, comme tous les autres établissements de la gang derrière Biiru, Escondite et compagnie. C'est rempli d'affiches, de papier peint, de photos d'Elvis, de fausses planches de surf en bois, etc., qui donnent l'impression qu'on entre dans un univers un peu Walt Disney.

Chez Poké Bar, en revanche, la déco n'a rien de spécial, on est dans un demi-sous-sol et il y a un problème de ventilation - ou de ménage? - qui n'arrivait pas le jour de mon passage à débarrasser les lieux d'une odeur dérangeante. Dommage, parce que le concept du «bar» est intéressant. Et parce que le concept du poke l'est tout autant.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Koa Lua, 1446, rue Sainte-Catherine Ouest et 1212, avenue Union, Montréal, 514 375-5656, http://www.koalua.ca/

Notre verdict

Prix: Bols de poke entre 12 $ et 15 $. Jus 3 $ Le menu compte aussi quelques à-côtés - salades, avocat - entre 3 $ et 6 $.

Carte des vins: Il n'y en a pas. Juste des jus - parfois en rupture de stock - et des boissons fraîches classiques.

Décor: Spectaculaire. On dirait qu'on a donné carte blanche à un décorateur de théâtre pour qu'il réinvente Hawaii à Montréal, avec planches de surf de bois en guise de tables, images de plages et de soleil et photos d'Elvis.

Service: Gentil, mais approximatif et pas nécessairement affairé.

Plus: Les poke sont bons et le décor est sympathique.

Moins: On dirait que les propriétaires ne prennent pas assez soin de leurs nouveau-nés.

On y retourne? Oui, mais pour emporter.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE