De toutes les questions qu'on se fait poser quand on fréquente un peu trop les restaurants, je n'en connais pas de plus embarrassante que « Où devrais-je aller pour manger du crabe ou du homard ? ». Parce que la réponse qui me vient spontanément, c'est : « Euh, chez toi ? »

En effet, si l'on veut consommer ces crustacés dans leur plus simple appareil ou dans une préparation élémentaire comme une guédille, je trouve qu'il n'y a pas grand valeur ajoutée au restaurant. Le crabe des neiges, les bonnes poissonneries en vendent du délicieux fraîchement cuit. Et quand ils ont aussi de ces petites crevettes qu'on écale comme des arachides pour accéder à la chair sucrée, que demander de plus ? Cuire un homard, ce n'est pas la mer à boire non plus. Et pour lui comme pour le crabe, il suffit de sortir quelques instruments de décortication et voilà, le souper est servi.

Bon, j'avoue qu'en voyage, il est quand même agréable de savourer un sandwich au homard pour lequel on n'a pas levé le petit doigt, accompagné de frites qu'on n'a pas eu à faire et d'un de ces drinks un peu extravagants comme on n'en boit qu'en vacances.

C'est un peu ce que j'ai retrouvé à la Brasserie Lucille's de Westmount (de la même famille que le Lucille's Oyster Dive dans NDG). Cette jolie brasserie westmountoise n'a rien d'un shack en bord de mer, mais par son menu, ses plats servis sur du papier carrelé rouge et blanc et son joyeux brouhaha anglophone, elle vous transporte ailleurs.

Le bon vieux Bloody Caesar, qui est apparemment un cocktail typiquement canadien, est frappé d'un vent de folie depuis quelques années. Des ingrédients étonnants émergent de verres au volume impressionnant. L'Gros Luxe, par exemple, offre une dizaine de garnitures en option, dont des mini-burgers, des rouleaux de printemps et des rondelles d'oignon, et même la chaîne St-Hubert en propose un orné d'une aile de poulet.

Celui de Lucille's, par comparaison, a presque l'air classique avec son huître, sa crevette et sa patte de crabe, car si ces garnitures rendent le verre spectaculaire, elles constituent un prolongement logique du jus de tomate à la palourde qui sous-tend ce cocktail.

La petite huître en équilibre sur le bord du verre était impeccable et la grosse crevette, ferme et savoureuse. La carapace de la longue patte de crabe des neiges est arrivée pré-craquée, ce qui est bien pratique pour ceux qui n'aiment pas jouer de la pince. Le Bloody Caesar lui-même est très bon, bien relevé, et le mélange d'épices maison sur le pourtour du verre remplace avantageusement le traditionnel sel de céleri. Bref, si le « lunch liquide » est une formule à déconseiller au repas du midi, ce cocktail constitue une entrée liquide tout à fait recommandable.

Huîtres, cocktails de crevettes, plateaux de fruits de mer, palourdes vapeur, tartares, sashimi : dès l'entrée, le menu mise sur les valeurs sûres.

Le tartare de thon est tout ce qu'il y a de plus classique. Posé sur des morceaux d'avocat, le poisson cru est saupoudré de tempura et garni de pousses. Cet assemblage monté dans un cerceau s'accompagne d'un dashi un peu acidulé par la sauce ponzu. C'est frais et léger, mais sans éclat.

Moins élégants, mais plus enthousiasmants, les tacos servis par deux sur une planche recouverte du fameux papier à carreaux sont généreusement garnis. Les morceaux de daurade enrobés d'une panure craquante disparaissent sous un monticule de chou rouge finement râpé et à peine vinaigré. Une purée de mangue, une salsa de tomatillos légèrement brûlés et une mayo à la coriandre donnent à la fois du relief, de la rondeur et du liant. Réjouissant.

En principal, le menu continue à naviguer en eaux familières, y compris du côté des viandes, parmi lesquelles figure une intéressante sélection de steaks. La spectaculaire vitrine de vieillissement à l'entrée et les délicieux effluves des pièces servies aux tables voisines leur font une belle publicité, mais nous sommes ici pour les propositions marines. Le « surf and turf », proposé lui aussi en version très décontractée (une guédille au homard, des côtes levées, des frites) s'est avéré un excellent compromis. Le pain joliment doré renferme une bonne quantité de chair de homard avec juste ce qu'il faut de mayo, permettant d'apprécier pleinement ce sublime crustacé. Les côtes levées sont tendres, la chair se détache proprement de l'os, et la sauce sombre, sucrée et fumée, typique du Sud-Ouest américain, lui donne une belle profondeur. De délicieuses frites, fines et bien dorées sans être trop croustillantes, complètent l'assiette.

Moins exubérant, le loup de mer était cependant impeccable. Le mince pavé était parfaitement saisi, laissant la chair bien tendre sous une superbe peau croustillante. La salade sur laquelle il reposait, par contre, n'avait rien de la fattouche annoncée. Du cresson, du poivron rouge, des tranches de pommes vertes, le tout dans une vinaigrette crémeuse. L'ensemble était frais et plutôt goûteux, mais complètement divorcé du poisson.

Une meilleure communication serait aussi appréciée au dessert. Pour le pot de crème au chocolat, la forme est évidente, mais il serait utile de préciser que la « key lime pie » se mange elle aussi à la cuiller dans un pot Mason. Cet appareil à la lime juste assez riche garni de miettes de Graham et de copeaux de granité à la lime est frais et délicieux, mais par égard pour les amateurs de ce dessert emblématique, il serait utile de préciser que la version servie ici ne ressemble en rien à une tarte.

Hormis ces quelques malentendus, j'ai trouvé ce que je cherchais dans cette brasserie animée - un endroit où déguster des fruits de mer sans avoir à se taper tout le boulot et où les carnivores insensibles aux charmes de la mer peuvent aussi trouver leur compte.

Brasserie Lucille's, 4124, rue Sainte-Catherine Ouest, Westmount, 514 933-9433

NOTRE VERDICT

• Prix : Entrées de 16 $ à 34 $, plats entre 21 $ et 59 $, desserts à 10 $

• Carte des vins : Du choix, particulièrement en blanc, mais un peu abrupte, avec les premières bouteilles à 50 $

• Service : Sympathique

• Décor et ambiance : Brasserie animée fréquentée par une clientèle de tous âges, y compris des familles avec de jeunes enfants.

• Plus : Une carte de poissons et fruits de mer axée sur les valeurs sûres où les carnivores peuvent aussi trouver leur compte.

• Moins : Les palais avides d'innovation, eux, risquent de ne pas y trouver leur compte - c'est le revers d'une cuisine qui mise sur les valeurs sûres.

On y retourne ? Sûrement.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Tacos de poisson.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Viande veillie sur place.