Installé dans un ancien et vaste restaurant grec de l'avenue du Parc, à deux pas de son grand frère le Pullman, le Moleskine est l'une des belles nouveautés de 2016 à Montréal.

Par l'originalité de son décor et du concept tout comme la qualité de sa cuisine, de sa carte des vins et du service, il se distingue du peloton.

On lui souhaite longue vie et on espère qu'il deviendra vraiment cette grande table chic déglinguée qu'il se propose d'être.

Cette nouvelle adresse est née d'un partenariat à quatre personnes: les deux propriétaires du Pullman, Catherine Bélanger et le designer Bruno Braen, ainsi que la sommelière Véronique Dalle, aussi du Pullman, et le chef Frédéric St-Aubin, anciennement du 357C, un gars qui a fait ses classes et sait techniquement comment bien cuisiner.

Évidemment, c'est Braen qui signe l'aménagement, une composition excentrique qui a su tirer profit des balafres de l'ancien décor, mises en valeur par des détails modernes parfois bruts, parfois délicats, toujours surprenants: des portemines suspendus au plafond, de la vaisselle en métal, des rideaux diaphanes pour marquer certains espaces, un immense four à bois de ciment au centre des lieux.

Quand on n'a pas beaucoup d'argent pour rénover, il faut avoir de bonnes idées.

Le Moleskine cache en fait trois restaurants. Un comptoir de prêt-à-manger, où l'on vend notamment les fameuses pizzas que le chef St-Aubin a appris à faire cuire sans pizzaïolo pour l'épauler. On trouve aussi une table hyper conviviale au rez-de-chaussée où l'on s'installe sans réservation et qui a presque des allures de diner. Salades, sandwichs, pizzas toujours. C'est relax.

Et à l'étage, la décoration est plus soignée puisqu'il s'agit de la section la plus gastronomique où l'on aimerait, à moyen terme, pouvoir faire le service au guéridon. Pensez crêpes Suzette et autres flambés. Un comptoir au milieu de la salle à manger, avec son magnifique plateau de fromages, annonce déjà ces intentions.

Au menu, le chef St-Aubin propose quelques assiettes spectaculaires. Il faut, par exemple, absolument essayer l'omelette, un classique qu'il maîtrise avec brio. Elle était aux chanterelles quand je l'ai essayée, soyeuse et douce, riche et réconfortante, à peine fromagée et généreusement couverte de champignons sauvages juste assez sautés.

Le plat de porcelet aux palourdes, avec pêches, sauce verte et haricots verts très fins, était aussi particulièrement réussi. Les ingrédients se répondent et se complètent, mais là encore, c'est la technique du chef qui s'impose: le porcelet est tout rose, tout juteux, tout tendre, tandis que la peau de la bête craque sous la dent, grasse et juste assez salée, comme des croustilles.

En entrée, le ceviche de cobia, un poisson de mer de pêche durable qu'on appelle aussi parfois saumon noir et dont la chair blanche et ferme évoque le thon, s'avère fin et tout simple. On l'allie avec le croquant de pommes, fenouil et radis, auxquels s'ajoutent un peu d'échalotes frites. La salade de tomates, elle, arrive sous forme de panzanella, donc avec des croûtons. Câpres et morceaux de piment jalapeño lui donnent du relief. Peut-être avait-on mis trop de balsamique seulement ce jour-là.

Moins réussie, la salade de courgettes grillées avec ricotta, pistaches et citron manquait quant à elle, étonnamment, d'un peu de structure. Plus d'acidité? De croquant? De piquant? À ajuster.

Pour les amateurs de pizza, sachez qu'on l'offre en trois versions. En version focaccia, dodue et rebondissante, et romana, à croûte plus mince, le midi, puis croquante à la napolitaine le soir, quand le chef décide de monter son four jusqu'à 900 degrés...

Pour les garnitures, St-Aubin s'éclate. Pensez menthe, petits pois et noix de pin, avec amplement de moelleuse mozzarella fraîche.

Au dessert, la maison adore la crème glacée molle et la sert avec des fruits frais de saison et un peu de sauce au caramel. Or, il ne faut pas manquer la «némésis», un flan au chocolat noir - sans farine - accompagné d'une ganache au café et au chocolat blanc. Absolument délicat, juste assez riche et sucré. L'antidote raffiné aux gros gâteaux costauds façon «crises de munchies» qu'on sert beaucoup dans les restos à la mode.

Si vous voulez passer au lunch, sachez qu'on propose à l'étage un menu à 25 $ et qu'au rez-de-chaussée, on offre des sandwichs et des salades tout aussi raffinées, dans leur genre. À ne pas manquer: la salade de crevettes, moules et anchois blancs, avec tomates fraîches, chorizo et piment d'Espelette. Le chef aime les idées portugaises autant que les françaises ou les italiennes, et franchement, on s'en régale.

Moleskine. 3412, avenue du Parc, Montréal. 514 903-6939.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Le Moleskine compte un comptoir de prêt-à-manger où l'on vend notamment les fameuses pizzas que le chef St-Aubin a appris à faire cuire sans pizzaïolo pour l'épauler.

Notre verdict

Prix: entrées entre 10 $ et 16 $, plats entre 24 $ et 32 $, desserts de 6 $ à 10 $ et plat de fromages à 14 $.

Carte de vins: la carte est courte, mais les vins de petits producteurs sont choisis minutieusement et on en parle comme si on connaissait personnellement chacun des vignerons. Pensez Chavy, Giboulot, Thevenet... Prix raisonnables.

Service: attentionné, professionnel. On aime écouter Véronique, la sommelière, nous parler de vins et nous conseiller.

Ambiance et décor: l'aménagement signé Bruno Braen est excentrique et sympathique, brut et surprenant. Pensez murs non finis avec les restants de tapisserie ou de plâtre de l'ancien resto grec, mezzanine en ciment, peu de lignes symétriques, beaucoup d'espace. À table, la faune évoque celle du Pullman à quelques portes de là. Travailleurs créatifs du centre-ville, quelques-uns venus de McGill non loin.

Plus: l'originalité du décalage entre la qualité de la nourriture, des vins et du service et le décor un brin apocalyptique.

Moins: les crêpes Suzette et les flambés ne sont pas encore au menu.

On y retourne? Oui, c'est déjà fait.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Le designer Bruno Braen signe l'aménagement du Moleskine, une composition excentrique qui a su tirer profit des balafres de l'ancien décor, mises en valeur par des détails modernes parfois bruts, parfois délicats, toujours surprenants.