Il a fallu une dizaine d'années avant que Kabir Kapoor, qui a pris la relève de son père au restaurant indien Taj, et le chef Jason Morris, qui a roulé sa bosse (Grumman 78, Maison Boulud, Cava, Milos, Geist à Copenhague), réussissent à ouvrir leur resto ensemble. Nous n'avons rien perdu pour attendre. Ce petit établissement discret, ouvert l'été dernier dans un interstice de Griffintown, propose une courte carte pleine de jolies surprises.

Quoi de plus simple qu'un drap blanc ? Pourtant, taillez-y deux petits trous au bon endroit et vous aurez un costume d'Halloween complet sous lequel personne ne vous reconnaîtra. C'est un peu le défi que relève Le Fantôme en donnant une tournure étonnante à des ingrédients évidents.

Un sandwich confiture-beurre d'arachide-foie gras ? Déjà, la combinaison des deux petits ingrédients ne m'a jamais tentée au petit déjeuner, alors au souper, et avec du foie gras... Comme on dit des phénomènes paranormaux, j'étais sceptique. Erreur ! Au contact du gril, les tranches de pain brioché acquièrent une délicieuse saveur de toast rôtie sur le poêle à bois. Entre les deux, le beurre d'arachide crémeux, la confiture et le foie gras en mousse rivalisent d'onctuosité. C'est cochon et étonnamment raccord. À essayer, en partageant, car c'est très rassasiant.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

La surprise s'est ensuite manifestée sous une forme diamétralement opposée, soit des micro-grilled cheese servis en amuse-bouche. Du Velveeta orangé entre deux tranches de pain blanc doré, mais en format poupée. Sourire garanti !

La surprise s'est ensuite manifestée sous une forme diamétralement opposée, soit des micro-grilled cheese servis en amuse-bouche. Du Velveeta orangé entre deux tranches de pain blanc doré, mais en format poupée. Sourire garanti !

Le terme ludique est usé à la corde, surtout en cuisine. Ce Fantôme sait heureusement où s'arrêter. Plusieurs des plats goûtés lors de nos visites faisaient preuve d'originalité, mais sans le souligner à gros traits.

Le tartare de thon et le canard se sont révélés particulièrement enthousiasmants. Le premier est une habile relecture du classique tartare-frites. Le poisson est détaillé en petits morceaux et assaisonné avec doigté, et non englué, ce qui permet d'apprécier toute la fermeté de sa chair. Un cumulus de filaments de pomme de terre frits l'accompagne.

L'assiette de canard et trompettes de la mort avait un petit air dramatique tout à fait dans le ton. Le morceau de magret était parfaitement saignant et saisi. La chair de cuisse saumurée avant d'être cuite sous vide avait perdu son aspect fibreux au profit d'une texture homogène rappelant celle d'un bon jambon. Une abondance de champignons noirs et de minuscules dés de foie gras coiffés d'une pellicule de sucre caramélisé complétaient le tout. Seul reproche : la délicate purée de dattes fumée seyait aussi bien au canard qu'aux champignons, mais il y en avait si peu que c'en était frustrant.

Le gâteau au fromage Yasuka et le babka au chocolat plairont aux amateurs de desserts simples. Le gâteau dense, goûteux et à peine sucré, se suffit à lui-même, son voile d'écume lui apportant plus d'apparat que de saveur. Le mini-babka bien chocolaté est une variation très réussie de la traditionnelle brioche d'Europe de l'Est. La quenelle de glace au thé du Labrador qui l'accompagne n'est pas très parfumée, mais sa consistance est si soyeuse qu'on la déguste sans poser de questions.

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Le mini-babka bien chocolaté est une variation très réussie de la traditionnelle brioche d'Europe de l'Est. La quenelle de glace au thé du Labrador qui l'accompagne n'est pas très parfumée, mais sa consistance est si soyeuse qu'on la déguste sans poser de questions.

Ce fantôme ose, et ça lui réussit. C'est seulement quand il devient convenu qu'il déçoit. Le flétan et portobello, par exemple, ressemblait à ce qu'on voit dans trop d'endroits. De bons ingrédients (un cube de flétan tendre à coeur et bien saisi, une touche de purée, des pétales d'oignon fondant, une tranche de portobello poêlée), mais qui se côtoient en s'ignorant, sans rien s'apporter l'un à l'autre. Heureusement, c'est l'exception.

Malgré son nom, qui évoque l'histoire sinistre de Marie Gallagher, une prostituée assassinée dans le quartier à la fin du XIXe siècle, ce petit resto éclairé à la chandelle est plus chaleureux que spectral. Sans doute parce qu'il s'agit d'une affaire de famille. Les magnifiques collages accrochés aux murs sont l'oeuvre de l'arrière-grand-père de Jason, et la confiture est fabriquée par sa mère. Le gâteau au fromage est une recette de la mère du sous-chef japonais. Et la mère de Kabir vient donner un cours de yoga aux employés un matin par semaine. Bref, de quoi amadouer n'importe quelle âme égarée.

Le Fantôme

1832, rue William, Montréal, 514 846-1832

Prix : Menus fixes seulement - six services pour 45 $, huit pour 60 $.

Vins : Courte carte, majoritairement en importation privée, avec une bonne proportion de bouteilles à moins de 60 $.

Service : Enthousiaste et généralement très attentif, sauf pour les ustensiles qui, avec un menu dégustation, gagneraient à être changés à chaque service.

Atmosphère : Petit local aménagé avec simplicité et éclairé à la chandelle : intimiste mais très bruyant.

Plus : Une cuisine du marché inventive et riche en surprises.

Moins : De rares compositions moins inspirées.

On y retourne ? Avec plaisir.

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Ce fantôme ose, et ça lui réussit. C'est seulement quand il devient convenu qu'il déçoit. Le flétan et portobello, par exemple, ressemblait à ce qu'on voit dans trop d'endroits.