Ce n'est pas facile d'évaluer des restaurants. Il y a la qualité objective de la cuisine à jauger. Celle du service. Il y a la mesure de ce qui est offert en vertu du prix demandé qui est cruciale. Il y a la nécessité de départager le plaisir personnel ou, au contraire, la déception subjective que l'on peut vivre, de ce que le restaurant propose à tous. Tâche délicate.

D'un point de vue purement subjectif je pourrais dire, par exemple, que ma dernière soirée au Bremner, le second restaurant ouvert il y a deux ans par le restaurateur vedette de télévision Chuck Hughes, rue Saint-Paul Est, fut très agréable. Tenant à y retourner, puisqu'il y a maintenant un nouveau chef, Danny Smiles, j'y étais avec des amis adorables. On a bien rigolé. On arrivait d'un spectacle intéressant. Je ne peux certainement pas dire que ce fut un repas raté.

Mais ai-je envie d'y retourner? Malheureusement non.

D'abord, lorsque nous sommes arrivés, nos places n'avaient pas été retenues, même si on avait pris la peine de les confirmer pendant la journée par téléphone. On nous a même demandé de prouver qu'on avait réservé! «Était-ce par OpenTable», a demandé le maître d'hôtel ou serveur qui nous a accueillis, rempli de doutes, semblant dire que c'était là une piètre façon de trouver une table chez lui... Pourtant, c'est le site du restaurant qui nous dirige vers ce service.

Après discussions et attente, sans pardon, sans offre de cocktail en guise d'excuses, on nous a finalement placés à une table dans un coin du restaurant, plus de 30 minutes après l'heure de la réservation confirmée. Là, sous un haut-parleur crachant les décibels à haut volume - 90 décibels pour être plus précis, le niveau d'une moto - on a pu commander, après encore un peu d'attente, notre repas.

Comme dans plusieurs restaurants de ce style néorustique cool que d'aucuns appellent maintenant «faux-Beef» parce qu'ils essaient tous d'imiter, avec plus ou moins de succès le style désinvolte savoureux du restaurant Joe Beef, le service est gentil et serviable, mais un peu broche à foin. Ici on oublie les flutes pour aller avec le mousseux, là on revient à trois reprises pour dire que non que oui que non il n'y a finalement plus de ce plat ou de ce plat au menu. Des conseils pour le vin? Approximatif, voire dans le champ. Vaut mieux s'y connaître pour se retrouver dans une carte pourtant intéressante.

Une cuisine lourde

Dans l'assiette, la cuisine est copieuse, riche, voire lourde. Les textures, les saveurs sont molles, sans reliefs. On cherche l'acidité, la ponctuation, les rebondissements, la complexité. Hughes est un amateur de mayonnaise et même si ce n'est pas lui qui est présent en cuisine, on sent cet esprit un peu partout.

Nos plats préférés? Une assiette de coeur d'agneau, avec chou encore croquant, pissenlits à peine tombés. L'amertume attendue des verdures se fait discrète, la viande est tendre, savoureuse.

Belle salade de betteraves aussi, parfaitement cuites pour une légère résistance sous la dent. Magnifique rencontre de ce légume avec l'acidité sucrée de la pomme pochée, complétée par un peu de ricotta. Géniale idée. Surtout que de la betterave on en a mangé et remangé ces dernières années. On croyait tout savoir. Bravo pour la combinaison originale. Vraiment réussie.

L'assiette de truite fumée étonne. À vrai dire, j'étais convaincue de manger du gravlax - saumon mariné - jusqu'à ce que je revérifie sur le menu. On sert le tout avec des grains de bacon, un peu d'avocat sur de la brioche. Sur papier la combinaison est attirante, dans l'assiette elle tombe à plat. Il lui manque d'acidité. On glisse en ligne droite.

Même situation avec le chicharron de poulet, servi sur un tartare de cardeau à la mayonnaise. La peau croustillante à la sud-américaine est délicieuse, grasse comme un chips avec du goût en prime. Et bonne idée d'avoir troqué le porc pour de la volaille. Mais le poisson se perd dans la sauce. Gras sur gras. Mou sur mou.

Trop salé

En plat principal, la pizza au homard est sympathique avec ses gros morceaux de crustacés. Mais est-ce nécessaire de saler autant?

Même chose pour le plat de merlu aux palourdes. Trop salé. Et plutôt fade, plutôt plat. Le poisson n'est pas particulièrement tendre. Les choux de Bruxelles pourraient l'être moins. On s'ennuie. Le flétan frit sauce bordelaise? Lourd, banal, beaucoup plus fish'n'purée que bordelais. Et est-ce vraiment 30$ l'assiette? N'en parlons pas davantage. Surtout pas une semaine après le passage à Montréal de l'équipe de la Côte d'Or, le Relais&Château de Dominique Loiseau, qui a servi un doré au vin rouge et à l'échalote absolument remarquable. Un repère.

Au dessert, on continue dans cet esprit à la fois simple et sympathique, mais inélégant. Des crêpes à l'américaine avec sucre à la crème et beurre au Pimm's, mais qu'on dirait en fait au sirop comme mille autres. Pour 11$, plutôt choquant. Des beignets chauds et souples accompagnés d'une sauce au citron bien acidulée, qu'on aurait pu rendre plus soyeuse, moins poudrée. Manque de mise au point là comme ailleurs, dans ce menu qui plaira aux amateurs de cuisine réconfort cool et qui fera grincer des dents les amateurs de finesse et de précision. Surtout aux prix demandés.

Le Bremner

361, Saint-Paul Est

514-544-0446

Montréal

crownsalts.com/lebremner

Prix: Entrées de 15 à 22$. Plats de 25 à 37$. Desserts de 9 à 11$.

Vins: Carte de vin intéressante sans banalités, avec importations privées de petits producteurs, trouvailles de différentes régions de France notamment. Dommage qu'il n'y ait pas de sommelier ou de serveur qui s'y connaisse bien pour l'expliquer.

Service: gentil, mais pas très professionnel. Beaux efforts pour parler français, pour sourire. Mais accueil approximatif, lenteurs, peu d'explications... On oublie de faire goûter le vin. Etc.

Style: Un autre restaurant très masculin, avec cuisine riche, grasse, salée, musique forte, peu de lumière.

(+) Convivial, relax

(-) Une cuisine pas particulièrement fine pour des prix élevés, dans une atmosphère bruyante. Service désinvolte.

On y retourne? Non