Des vers croustillants s'échappant d'un «petit pois carré», des grillons pris en inclusion dans des demi-sphères de gelée de whisky: telles sont quelques-unes des surprises que réserve David Faure, chef étoilé installé à Nice, dans un nouveau menu plutôt déroutant pour le consommateur européen, peu enclin à l'entomophagie.

Le restaurateur, étoilé au Michelin depuis 2010, n'en est pas à son premier coup d'éclat. Aux pianos de l'Aphrodite, il surprend déjà ses clients depuis plusieurs années avec sa cuisine «techno-émotionnelle», à coup d'azote liquide, de «food pairing» (association de deux aliments en fonction de leurs ressemblances moléculaires) et de trompe-l'oeil.

Cette fois, avec son menu «Alternative food» à 59 euros (78$), le chef fait un pari osé. «Il risque son étoile», prévient Noëlle, son épouse, qui s'affaire en salle. «Mais ce n'est pas un coup de tête de sa part: cela fait trois ans que nous travaillons sur cette idée, après avoir voyagé en Asie», explique-t-elle.

Trois ans d'essais, de dégustations et de recherche de matière première de qualité, à la traçabilité irréprochable. Les petites bêtes qui se retrouvent dans les assiettes viennent exclusivement d'un élevage bio toulousain, Micronutris, le seul en Europe à produire des insectes destinés à l'alimentation humaine.

Et la qualité se paye: vers et grillons déshydratés s'achètent 1250 euros (1662$) le kg! «Autant dire que nous ne faisons pratiquement pas de marge sur ce menu», note Noëlle Faure.

Pourquoi avoir fait un tel pari? Le but «n'est pas de choquer pour choquer: je veux faire prendre conscience que les insectes peuvent être une alternative en matière alimentaire», assure le chef. Les grillons sont notamment riches en protéines et pauvres en lipides, les vers de farine riches en Oméga 3, et leur élevage exige peu d'eau et génère peu de gaz à effet de serre, souligne-t-il.

«Si, au quotidien, chacun en incluait, même en faible quantité, dans son alimentation, ça finirait par avoir un impact environnemental non négligeable», estime-t-il.

Dès l'amuse-bouche, le ton est donc donné. Les vers de farine déshydratés, plantés au milieu d'un petit pois-carottes revisité, donnent l'illusion de frétiller encore.

Après le choc de l'entrée en matière, le «croustillant de grillons au sarrasin» qui accompagne le foie gras poêlé et sa «neige de pop-corn» passe presque tout seul.

La poudre torréfiée de ver de farine vient ensuite harmonieusement souligner le dos de cabillaud pané de ses notes d'arachide et de sésame.

La trouvaille visuellement la plus réussie est certainement le dessert: le «cubique de pain perdu aux poires» est rehaussé de surprenantes «inclusions de grillons en bubble au whisky», façon bijoux d'ambre. L'insecte perd alors de son craquant et son goût pop-corn se noie dans la note maltée, mais l'effet esthétique est garanti.

Nadège Carletti, 57 ans, s'est tout de suite laissée tenter par ce menu pour le «côté défi à la Koh Lanta».

«C'est vrai que la vue (des insectes) nous empêche un peu de manger au début...», reconnaît-elle, «mais quand c'est caché, ça passe tout seul. Et c'est intéressant gustativement».

La Niçoise ne compte d'ailleurs pas s'arrêter là. «La prochaine fois, je suis prête pour un gratin de grillons ou une quiche aux vers!», assure-t-elle avec enthousiasme.

Pour David Faure en tout cas, les insectes sont résolument des aliments d'avenir, qui pourraient entrer «dans la composition de barres énergétiques, de croquettes pour chat ou encore de farines animales».

Cédric Auriol, patron de la PME Micronutris, est formel: les insectes font déjà partie de notre alimentation quotidienne... à notre insu.

«Selon des études très sérieuses, les Européens mangent déjà 500 g d'insectes par an» en ingérant «des produits agroalimentaires comme les confitures ou la farine, dans lesquels on trouve toujours des fragments d'insectes», assure-t-il à l'AFP.