Hochelaga-Maisonneuve, ou HoMa si vous préférez, se fait dire depuis longtemps qu'il est le nouveau Plateau, le nouveau quartier encore abordable en devenir où il faut investir parce que, bientôt, tout le monde voudra y être.

Voilà des années qu'on entend cela. Des années qu'on attend cette transformation, qui se fait, en réalité, au compte-gouttes. Pour le mieux. Une ville puise sa richesse identitaire dans sa diversité sociale, culturelle, économique, linguistique. Qui tient encore à ce que les quartiers se banalisent à grande vitesse, perdent leurs aspérités, leur relief et leurs contradictions pour devenir lisses comme des centres commerciaux de villes nouvelles?

HoMa, donc, se transforme doucement. D'anciennes usines sont converties en appartements et en bureaux par des architectes allumés, des jeunes créatifs y déménagent, ne pouvant trouver ailleurs en ville des loyers aussi abordables. Et avec eux ouvrent de petits commerces qui changent par leur simple présence l'atmosphère du quartier, étincelles d'énergie. On pense à Arhoma, la boulangerie de la place Simon-Valois qui nous ravit avec ses pains au levain et ses sandwichs savoureux. On pense au restaurant Le Valois, juste à côté, où j'ai mangé récemment un baba au rhum qui m'a donné envie d'y retourner, juste pour cela.

Et puis, de l'autre côté de la rue Ontario Est, il y a maintenant Le Chasseur, un restaurant de quartier abordable et allumé qui devient bar passé 22 h. Aux fourneaux, on trouve deux chefs: Laurence Frenette, que le public québécois a connue comme finaliste à l'émission Les chefs en 2011 - et qui a fait un passage aux Trois Petits Bouchons et chez Joe Beef -, et Jean-Philippe Matheusen, un ancien de M sur Masson. Ensemble, ils travaillent dans un écrin un peu bar, un peu bistrot, aménagé par l'architecte Alain Carle, où l'on trouve mur de briques, ampoules post-industrielles et, référence cruciale au nom du restaurant, un ours empaillé.

Côté menu, on a opté pour la formule très courante de plats de taille moyenne qu'on surnomme ici tapas, et qui se combinent sans ordre particulier. Légumes, pâtes, viandes...

On lance le repas avec un «carpaccio» de légumes du moment, tels betteraves et radis, tranchés en fines lamelles et accompagnés de croquettes de moelle au coeur bien fondant, qui craquent sous la dent si on les mange vraiment tout de suite.

Suivent des plats composés, apportés sur des planches de bois. On aime le tataki de bison - viande à peine saisie, presque crue, en minces tranches - accompagné d'une crème de raifort, d'oignons frits et de branches de cresson, un plat équilibré, aux saveurs et aux textures bien précises qui se donnent harmonieusement la réplique.

Les rillettes d'esturgeon, servies avec salicorne et persil de mer, sont un peu plus brutes, d'autant plus qu'on les propose avec un énorme croûton frit. Mais l'amateur de riches charcuteries appréciera cette version maritime, sans détour, de la traditionnelle cochonnaille.

Pour continuer le repas, on a choisi des pâtes, qui s'avèrent à la fois savoureuses et confuses. On est loin de la tradition italienne, où l'on cherche à limiter au maximum le nombre d'ingrédients pour permettre à chacun d'être clairement reconnu et apprécié. Ici, on joue plutôt la carte du nombre pour ajouter à la complexité. Mais on s'y perd un peu.

Ainsi, le plat de gnocchi est aussi un plat d'escargots et de chou-fleur, de champignons noirs et de fromage bleu (le Ciel de Charlevoix). La combinaison est riche en bouche et pas désagréable, mais chaque saveur se perd un peu au milieu des autres. On finit l'assiette en se demandant, précisément, ce qu'on vient de déguster.

Au dessert, constat similaire. La rusticité s'impose avec sa richesse sympathique, sucrée, moelleuse, mais on s'ennuie d'un peu d'élégance, que ce soit dans la composition à base de morceaux de muffin aux pommes avec pommes fraîches et crème au fromage ou alors du côté de l'assiette à la courge, où un beignet de courge accompagne un flan de... courge.

Bref, la cuisine est généreuse et remplie de bonne volonté. On l'aimerait un peu plus épurée, libérée de quelques éléments, plus précise, plus ciblée. Car elle est sur le bon chemin. Sans parler des prix, totalement adaptés au quartier et plus que raisonnables.

Le Chasseur, 3882, rue Ontario Est, Montréal, 514-419-2141

Prix : tapas entre 5 $ et 9 $, desserts 3 $ ou 4,50 $... Le soir, on s'en sort aisément pour une quarantaine de dollars par personne, tout inclus (même vin et dessert), en mangeant généreusement.

Carte des vins : Les amateurs de bons petits crus seront peut-être un peu déçus par la sélection, qui pourrait aller plus loin et qui se limite surtout à des choix très abordables, sans réelles belles surprises. Carte de cocktails amusante et recherchée.

Service : Sympathique et accessible, mais pas toujours aussi rapide qu'on l'aimerait.

Atmosphère : Bruyante, enjouée, jeune. On ne va pas au Chasseur pour se chuchoter des mots doux dans l'oreille ni pour montrer son nouveau sac Gucci. Resto de quartier sympathique pour gens qui ne veulent pas se prendre la tête.

Plus : Les efforts en cuisine pour faire des plats qui ne sont pas banals, même si on travaille dans un style général rustique très à la mode.

Moins : Une cuisine parfois un peu confuse et une carte des vins qui pourrait être retravaillée.

On y retourne ? Si on est dans le quartier, oui.