Voilà quelques semaines maintenant que je parcours les routes du Québec à la recherche de bons repas, de bons restaurants.

J'ai mangé de l'excellente poutine au homard Chez Mamie, Pataterie gourmande à Saint-Roch-des-Aulnaies, j'ai bu un délicieux café chez Nektar à Québec, je suis tombée amoureuse sur-le-champ des glaces du Cinquième élément de Compton - surtout celle aux pommes caramélisées. J'ai dévoré les samosas du «gars aux samosas» au marché d'Ayer's Cliff et j'ai encore en tête l'esturgeon fumé de Mme Desgagnés à l'Isle-aux-Coudres.

Mais mon meilleur repas, celui qui m'a le plus charmée, du début à la fin, de chaque gorgée de vin à chaque bouchée de pain, c'est celui que j'ai pris au restaurant de la chef Colombe St-Pierre, au Bic, dans le Bas-du-Fleuve.

Il faut environ six heures en voiture de Montréal pour s'y rendre. Je les referais n'importe quand. Surtout qu'on trouve sur le chemin toutes sortes de bons arrêts gourmands pour prendre ici un croissant, là une bouchée d'anguille, un club sandwich au canard ou un bol de soupe aux légumes de la région. Et c'est sans parler des Jardins de Métis, tout près de la destination finale.

Une fois au Bic, on se sent sur le bord de la mer et un peu au bout du monde, surtout avec les collines du parc national, dont les rondeurs évoquent celles de Rio de Janeiro. Le restaurant Chez St-Pierre est situé dans ce village dont les rues sont bordées de demeures ancestrales. Il y a une petite terrasse ombragée si on veut manger à l'extérieur.

Mme St-Pierre, une femme énergique, a pris le parti, politique, de cuisiner le plus possible les produits de sa région et de défendre les petits producteurs, cueilleurs, transformateurs. Agneau, pousses en tout genre, légumes, plantes maritimes, fleurs, champignons... Sa cuisine est fine, bien travaillée, très professionnelle et originale. Un niveau de qualité tout simplement supérieur à tout ce que j'ai mangé jusqu'à présent dans ma tournée.

Pour commencer le repas, on nous propose un potage ou une salade. Classique. Mais dans l'assiette, ça ne l'est pas. La salade se remplit de feuilles différentes - roquette, mâche, pousses de betteraves, mini-épinards, grosses feuilles dodues de basilic - toutes plus savoureuses les unes que les autres. Le tout est enrobé d'une vinaigrette au gingembre et au miso, dont le fameux goût umami et sucré complète bien la fraîcheur de la verdure. Le potage, lui, est une crème de courgettes fine comme de la soie, rehaussée par une huile de livèche et décorée d'une pensée qui ajoute une note poivrée.

Cuit doucement dans le vin rouge, le poulpe de l'entrée, présenté de façon spectaculaire avec son tentacule affirmé, fond en bouche. Il est parfaitement complété par une compotée de tomates fondues richement liée à la moelle. À côté, une tapenade ponctue le tout de notes salées. Bravo. Une composition tout en équilibre et en moments complexes, mais dont on retient surtout le doux et l'onctueux.

Le tartare de veau, de son côté, est tout aussi succulent et glisse dans la bouche tout en finesse et en saveurs, sans trop d'acidité. La viande ne se fait pas oublier, probablement parce que la chef la saumure à la sauge pendant 12 heures, un procédé qui l'assèche légèrement et fait ressortir sa personnalité. Le plat est rehaussé de noisettes légèrement torréfiées, d'huile d'oignon grillé et de feuilles de pourpier.

En plat principal, la fête continue avec un carré d'agneau de la ferme Bio-Rousseau de Saint-Gabriel-de-Rimouski, goûteux, tendre et cuit exactement comme il faut - à la fois bien rose et chaud - accompagné d'un mini-jarret braisé au gin et d'une mousse au shiso évoquant de façon beaucoup plus exotique la menthe traditionnellement servie avec cette viande. Les pousses d'épinards maritimes - de délicates petites feuilles sauvages bien vertes et légèrement salées qu'on appelle aussi arroche - ajoutent leur acidité. Là encore, les morceaux tombent ensemble pour compléter un puzzle à la fois classique et inédit. Tout se tient.

Le contrefilet de bison, lui, se mange grillé avec une purée de courge et des gnocchis aux raisins de Corinthe et aux pacanes, revenus dans du moult et coiffés de beurre noisette. Une composition peut-être un peu costaude pour l'été, mais qui n'en est pas moins bien exécutée et étonnante. Car c'est là tout l'intérêt de cette cuisine: elle nous rassure et nous amène chez nous, vers des saveurs d'ici, pour mieux nous surprendre au détour avec la note particulière d'un ingrédient inattendu ou une combinaison inédite.

Au dessert, on choisit la tarte à la framboise, évidemment, puisqu'on est en plein dans la saison et on se régale non seulement des fruits et de la pâte délicate, mais de tout ce qui l'entoure, en commençant par une glace à la menthe et à l'angélique qui rafraîchit le palais comme un digestif. Le financier au butterscotch, lui, est lourd - seul élément moins intéressant du repas - mais on l'oublie au profit des à-côtés, un festival de ganache au chocolat et de glace à la fève tonka que l'on finit jusqu'à la dernière goutte. Miam.

Chez St-Pierre

129, rue du Mont Saint-Louis

Le Bic

418-736-5051

https://www.chezstpierre.ca

Prix: entrées 16 $, plats entre 35 $ et 44 $. Desserts 16 $. On peut aussi prendre une table d'hôte qui oscille entre 50 $ et 60 $. Le restaurant offre également le repas du midi.

Carte des vins : Le sommelier, Jonathan, est excellent. Il a construit une carte remplie de trouvailles, notamment de vins natures et en biodynamie, mais aussi de bons crus plus classiques. Il est aussi de très bon conseil.

Décor : On est dans une maison traditionnelle québécoise, en bois, aménagée très simplement, sans faux pas. Lumière tamisée. Niveau de bruit tout doux. Une terrasse permet de manger à l'extérieur, le midi notamment.

Plus : Une cuisine particulièrement bien exécutée, professionnelle, toujours savoureuse, qui sait mettre en valeur les produits de la région, cultivés et sauvages. Le tout dans un petit village magnifique sur le bord du Saint-Laurent.

Moins : De Montréal, il faut compter six heures de route pour y aller !

On y retourne ? Oui, sans hésiter.