Le grand critique gastronomique américain Alan Richman m'a déjà confié qu'un jour, chez Per Se, triple étoilé Michelin new-yorkais, il s'était dit en savourant le menu dégustation végétarien qu'il avait préféré son repas aux Chèvres, à Montréal. Les Chèvres, certains s'en souviendront sûrement, était un restaurant de l'avenue Van Horne qui mettait l'accent sur les légumes.

Le restaurant Les Chèvres n'existe plus, mais le chef qui était aux fourneaux au moment du passage de M. Richman, Stelio Perombelon, travaille encore à Montréal. Il a été copropriétaire pendant plusieurs années des Cons Servent et supervisait les menus au Pullman, deux bonnes adresses montréalaises.

Et le voilà maintenant à la barre du Sinclair, l'ancien S, le restaurant de l'auberge Saint-Sulpice dans le Vieux-Montréal où je suis allée quatre fois depuis son ouverture, à Noël. Quatre fois, parce que c'est près du bureau, oui. Mais surtout parce que c'est bon et que sa cuisine est exactement au diapason de nos besoins d'aujourd'hui: fine, mais très savoureuse, sans jamais être lourde.

Petites portions, légumes, fruits de mer et poissons, viandes en petites portions traitées avec soin, sans grandes pelletées de gras et de sel... Le midi, il n'y a même pas d'entrées et de plats principaux chez Sinclair, juste des assiettes moyennes qu'on combine à notre guise.

Coulis de pop-corn

Le menu change régulièrement, donc les plats que je vais vous décrire ne sont peut-être déjà plus au menu. Ce qui compte, cependant, c'est l'esprit de cette cuisine travaillée, bien fignolée. Qu'on parle d'une simple salade combinant betterave, chips maison et pommes, avec «neige» de chèvre frais ou d'un potage à la carotte très, très fin, voire soyeux, ponctué de petites moules à peine saisies offrant tout juste assez de résistance sous la dent, et rehaussé par un coulis de pop-corn.

Un coulis de popcorn? Oui. Comme si on avait passé au mixeur à très haute vitesse du maïs en grain et du maïs soufflé, avant de passer le tout au chinois pour obtenir la texture d'un coulis et le goût d'un après-midi au cinéma.

Un de mes plats préférés: une combinaison de tranches très minces de jambon La Quercia  un jambon artisanal de l'Iowa préparé façon prosciutto  et de tranches tout aussi minces de thon albacore issu d'une pêche durable. La combinaison des deux textures est d'une douceur exquise. L'un plus fondant que l'autre; l'autre réveillant le premier avec son goût salé.

Autres plats intéressants: la morue charbonnière cuite à la perfection ou alors la truite de l'Ontario, qui fond en bouche, réveillée par l'amertume de quelques rapinis. Ou alors une crème, encore là extrêmement bien faite, de racine de persil, avec un petit morceau de homard...

Les plats moins heureux? Un Chateaubriand pour deux  steak généreux  tout simplement grillé, qui s'avère un peu ennuyeux comparé aux autres plats, plus ciselés et complexes. L'entrée de poireaux marinés au cidre de glace est aussi un peu décevante, puisqu'il manque l'acidité nécessaire pour réveiller le légume. Une chance qu'on accompagne le tout de petits morceaux de moelle fumée et de foie gras râpé, une fort jolie combinaison qui pourrait certainement être formidable sur d'autres verdures croquantes. Aussi, offrir en amuse-bouche du radis mariné est un pari périlleux vu l'odeur typée de cette racine.

Au dessert

Au dessert, la créativité et les bons souvenirs des Chèvres continuent, notamment quand apparaissent de très originales profiteroles aux champignons «Candy Cap», dont le goût rappelle celui du caramel, ou alors la crème prise au fromage de chèvre, avec purée de courge musquée aux épices, pacanes et crumble à l'érable. On est loin des lieux communs. Bonjour les influences de la grande pâtisserie internationale, très portée sur les combinaisons baroques.

Malheureusement, la précision technique des plats salés n'est pas toujours présente dans une crème un peu lourde ou un crumble pas tout à fait assez croquant. Mais l'ensemble fonctionne.

Alan Richman me confiait récemment que Montréal était vraiment, selon lui, sur une bonne voie, une voie créative dans la lignée du Toqué! , fraîche, fine et allumée, grâce à la relève de nouveaux restaurants comme Les 400 Coups ou Le Filet. J'ajouterais maintenant le Sinclair à cette liste inspirante.

Le Sinclair

125, rue Saint-Paul O., Montréal

514-284-3332

Prix: Au lunch, deux plats pour 20$. Le soir, entrées entre 7$ et 13 $, plats entre 22$ et 29$.

Carte de vins: Carte soignée avec plusieurs importations privées choisies chez de petits producteurs. Belle représentation des vins européens et choix au verre intéressant.

Lieu: L'ancien S de l'auberge Saint-Sulpice, donc en sous-sol, a été rénové. Mais on ne va pas au Sinclair pour avoir un gros coup de coeur déco. Beaucoup de rouge et de noir. Cuisine ouverte. Photos tapissées au mur un peu comme aux 400 Coups (les propriétaires sont les mêmes). On sent l'envie de rajeunir sans investir une fortune.

Faune: Le midi, beaucoup de gens qui travaillent dans le Vieux-Montréal s'y retrouvent alors que le soir, ils y traînent pour le 5 à 7. On est dans le restaurant d'un hôtel situé dans un quartier touristique, mais la clientèle est clairement locale.

Service: Efficace et professionnel.

(+) La finesse des plats et leur légèreté tout en saveurs.

(-) Le décor aurait pu être un peu plus audacieux pour bien mettre en valeur la qualité de la création culinaire.

On y retourne ? Oui.