La mode est à la cuisine néo-rustique depuis maintenant plusieurs années. Pâté chinois réinventé, salade de betteraves et de chèvre, épaule de porc braisée, plateau de charcuteries... Qui n'a pas vu ces plats encore et encore? Parfois pour le mieux. Parfois pour le pire.

Cette vague, qui remonte au début des années 2000, nous a donné des restaurants chaleureux et savoureux, qui ont défini le genre. Chez eux, ni l'assiette d'huîtres ni la joue de veau n'ont l'air d'une solution facile. On pense entre autres à La Salle à manger, au Lawrence, au Comptoir charcuteries et vins...

Cette mode, toutefois, a aussi ouvert la voie à des tables décevantes, cherchant plus à surfer sur la vague qu'à comprendre ce qu'il faut faire réellement pour élever des produits de la mer ou de la ferme tout simples en plats réellement distincts et spectaculaires. On vous épargnera les noms. Il y en a plusieurs.

La frontière entre la cuisine néo- rustique bien faite, digne d'être servie au restaurant, et celle dont la désinvolture choque plus qu'elle ne charme est parfois très mince.

Le Bremner, le nouveau restaurant du chef Chuck Hughes, tombe malheureusement très souvent du mauvais côté de cette ligne fragile.

Un chef de «comfort food»

Hughes, vous le connaissez sûrement, est une grande vedette de la télévision dont les succès médiatiques ne peuvent qu'être admirés. Ses séries Chuck's Day Off et maintenant Chuck's Week Off connaissent un grand succès au Food Network ici et sont diffusées aux États-Unis. De plus, son premier restaurant, Le Garde-manger, fonctionne très bien, attirant une foule bigarrée d'amateurs de cuisine réconfort, de musique forte et de salles bien remplies.

À sa décharge, Hughes n'a jamais prétendu être autre chose qu'un chef de «comfort food». Sa passion pour la mayonnaise, par exemple, est bien connue. Son idée d'un bon plat est essentiellement qu'il soit costaud et satisfaisant d'une façon assez robuste, comme cette tablette de chocolat Mars frite, pièce inaugurale de son premier resto.

Le problème, c'est que chez Bremner, Hughes suit cette même ligne musclée, mais avec un nouvel accent sur les produits de la mer et les légumes. Or, ces ingrédients n'ont pas l'indulgence des côtes levées ou des hamburgers. Ils s'y perdent. Et toutes les feuilles de persil du monde  car il y en a beaucoup aussi  ne réussissent pas à les sauver.

Nous avons, par exemple, choisi une assiette de crabe des neiges avec kimchi et croquette de riz, l'une des compositions les plus originales du repas. La petite montagne de chair de crabe, généreuse, était rehaussée d'une sauce juste assez piquante, comme les légumes marinés coréens, et par la fraîcheur de quelques tranches de concombre. Sauf que le tout était déposé sur un gâteau de riz si grossier que certains grains cassaient carrément sous la dent, faisant oublier toute la délicatesse du reste de l'assiette.

Ensuite, on nous avait promis des rapinis aux anchois. Mais si on a trouvé aisément les légumes  bien cuits, juste assez amers , on a cherché en vain les petits poissons ou leur saveur de mer.

Le tout était accompagné d'un oeuf, ici cuit dur, qu'on aurait probablement apprécié s'il avait été le seul du repas. Toutefois, cet ingrédient passe-partout s'est retrouvé ailleurs en version pochée, de la même façon que les croûtons à l'huile et les chips maison, qui parsemaient plusieurs assiettes. Difficile de décrire ces ingrédients trop présents autrement que comme des béquilles ou des bouées de sauvetage jetées sur toute composition en quête d'un moyen, riche mais illusoire, de s'élever au-dessus de la mêlée.

Le plat d'asperges aux tomates confites portait à confusion, avec ses asperges appuyées par une forte dose d'échalotes et d'oignons verts, avant de révéler... l'oeuf poché et les croûtons, qui n'ont en rien aidé. Problème semblable avec le plat de légumes du jour  betterave et navet blanc, notamment  bien cuits et délicieux, mais dont toute finesse se perdait, là encore, dans cette ambiance répétitive d'huile et de sel. Surtout qu'on y retrouvait ces chips omniprésentes, les mêmes qu'on nous avait servies dans l'assiette de burrata  mozzarella à la crème  une combinaison éclectique où les éléments s'entrechoquent sans se mettre mutuellement en valeur.

Au dessert, la situation ne s'est guère allégée ni précisée. Les beignets à la gelée de fraise servis avec chocolat fondu et les biscuits aux brisures de chocolat étaient peut-être chauds, bien riches et bien sucrés, mais c'est le genre de plats  comme le reste du repas, d'ailleurs  qui ont leur place sur une table d'amateurs ou de cuisiniers sans la moindre prétention. Pas dans un restaurant où on peut facilement finir par payer 100$ par personne.

Bremner

361, rue Saint-Paul E., Montréal

514-544-0446


Prix: Les prix des assiettes de taille moyenne, donc qui ressemblent à de grosses entrées ou de petits plats principaux, varient. Certains peuvent coûter 10$ (asperges), d'autres 20$ (burrata) ou 22$ (crabe au kimchi). Le total de la facture dépendra donc du nombre de plats commandés - on suggère d'en prendre au moins deux ou trois - et, évidemment, du dessert (7$ ou 8$), du café, du vin, des cocktails... Il est ainsi possible de s'en tirer à 65$ par personne taxes et services inclus, mais 100$ par convive est un scénario tout aussi plausible.

Carte de vins: Courte mais intéressante, plusieurs choix au verre.

Service: Courtois, mais aucun excès d'explications détaillées et précises des plats et des ingrédients. Aussi, attente plutôt longue pour les assiettes.

Décor: Demi-sous-sol dans un immeuble historique du Vieux-Montréal, décoré de façon rétro. Très jolie terrasse avec bar à huîtres. Attention: le nom du restaurant n'est pas écrit à la porte.

Style: Restaurant néo-rustique, comme c'est la mode actuellement.

+ Une très belle terrasse.

- Une cuisine confuse, aucunement à la hauteur de toute l'attention que l'on porte au chef et à ses restaurants.

On y retourne? Non