Pendant des décennies, pour ne pas dire quelques siècles, dans le monde occidental, la cuisine française a régné seule au sommet de la gastronomie, à peine concurrencée par la cuisine italienne ou par ses propres chefs, déménagés aux États-Unis.

Puis, dans les années 80 et 90, est survenue la révolution culinaire espagnole, menée par des chefs basques et catalans qui ont solidement placé leur pays sur la carte gourmande mondiale. Pendant ce temps, les Britanniques aussi se taillaient une part du gâteau avec l'apparition de grandes tables et de grands cuisiniers. Ont suivi ensuite les Scandinaves, raflant les prix Bocuse d'or, les étoiles Michelin et autres reconnaissances.

La question maintenant sur toutes les lèvres: qui seront les prochains chefs, les prochains restaurants qui jouiront d'une telle reconnaissance internationale? Est-ce que tout va se passer en Chine avec son marché à la croissance exponentielle? Au Japon, où la gastronomie a de toute façon toujours joué dans la cour des grands?

Une des réponses que l'on entend de plus souvent ces jours-ci dirige notre regard vers une tout autre destination: l'Amérique latine, où un nombre croissant de restaurants se retrouvent aujourd'hui dans les grands circuits gourmets. La cuisine d'avant-garde, en quelque sorte, se trouverait au Mexique, au Pérou et au Brésil, où des tables comme D.O.M à Sao Paolo, Pujol à Mexico ou Astrid&Gaston à Lima, émerveillent.

À Montréal, nous avons la chance d'avoir un restaurant qui une table de style «nuevo latino» où se retrouvent des ingrédients latino-américains, des techniques classiques françaises et du Sud, des produits d'ici et une volonté de créer des expériences nouvelles. C'est le restaurant Raza, rue Laurier Ouest, dans le Mile-End, tenu par le chef Mario Navarrete Jr.

On n'y retrouve pas la folie débridée qui caractérisait la cuisine avant-gardiste et latinissime de Patria, le restaurant new-yorkais aujourd'hui fermé, mais qui a fait vibrer tout Park Avenue durant les années 90, avec ses acrobaties remplies de sucre de canne, d'avocat, de coco, de ceviche, de mole, de tamales et de dulce de leche.

Ce que l'on trouve, cependant, chez Raza, c'est une cuisine vraiment originale, très bien faite, qui nous sort du trop vu actuel. Navarrete pourrait même aller plus loin créativement parlant, sortir encore plus des sentiers battus et on serait encore plus heureux. Car, si au cours des dernières années, il s'est plutôt assagi, probablement pour amadouer une clientèle craintive, il pourrait revenir à ses sources péruviennes et argentines: les vents soufflent dans cette direction.

Même que le Pérou, d'où vient M. Navarrete, est au coeur de l'action. Les très très grands chefs du moment  Massimo Bottura, Michel Bras, Daniel Patterson, Dan Barber, Quique Dacosta, Alex Attala, Ferran Adria, René Redzepi, etc.  n'étaient-ils pas tous à la grande fête gastronomique de Lima, Mistura, la semaine dernière?

Imaginez une cuisine qui exprimerait le terroir latino-américain avec autant de musicalité, de poésie et de candeur que l'ont fait les Gabriel Garcia Marquez, Isabel Allende, Frida Kalho ou Caetano Veloso.

Chez Raza, ces jours-ci, on ne choisit pas ses mets à la carte, ce qui explique peut-être le peu d'achalandage, la clientèle ayant souvent peur de ces formules. Il faut donc choisir le repas cinq services à 59$ ou le sept services à 70$, se laisser guider par le chef.

Pour commencer, cependant, on choisit le cocktail péruvien classique, le Pisco Sour, combinaison bien fraiche et allumée faite de pisco  alcool de raisin typiquement péruvien , de jus de citron vert, de blanc d'oeuf en mousse et d'amer angostura. Tout devrait bien aller ensuite!

Arrive en amuse-bouche une assiette à base de caviar de hareng fumé, avec pleurotes et oeuf poché. La combinaison oeuf et champignons en salade est assez classique, mais ce sont les oeufs de poissons -- et non les lardons traditionnels -- qui apportent les notes fumées attendues. On est donc à peine décalé, mais le plat demeure absolument accessible. On glisse dans la bonne direction.

En entrée, on propose un ceviche, plat péruvien de poisson cru mariné dans le jus de citron on ne peut plus classique. Cette fois, il est fait avec des pétoncles et de la rhubarbe confite dans du sirop, ce qui apporte à la fois du sucre et encore plus d'acidulé. Le tout est ensuite coiffé de mousse de Pisco Sour.

Une jolie combinaison complexe, fraîche et équilibrée, qui nous amène exactement dans l'univers recherché de la cuisine traditionnelle péruvienne réinventée.

Le plat suivant est un ravioli à l'avocat avec crevettes, poudre de sésame et légumes marinés. La combinaison est intéressante, mais pourrait aller plus loin. Le contraste de texture n'est peut-être pas assez marqué. Il manque de croustillant pour tendre la main à la très grande douceur de l'avocat. Il manque aussi de la folie épicée qu'on attend de l'Amérique latine. On veut plus de piquant, plus de fleuri.

En plat principal, on propose une joue de veau braisée, un classique délicat qui fond en bouche, avec peau de porc grillée en chapelure et purée de pommes de terre. C'est ici que les traditions paysannes latino croisent celles du Québec. C'est réconfortant, fondant. Très bien fait. Mais on cherche le piment fou, la fleur amazonienne qui change le ton

Au dessert, la mousse de pêche, saison oblige, est servie joliment dans un pot Mason, avec glace au dulce de leche et espuma acidulée. Un bon dessert bien fait, mais qui nous laisse un peu sur notre appétit de créativité. Un peu à l'image de tout le repas.

Raza 114, Laurier O., Montréal, 514-227-8712

>Prix: Repas cinq services: 59$ sept services 70$

>Apportez votre vin.

>Style: Cuisine latino fusion avant-gardiste, une tendance extrêmement actuelle, avec présentation très soignée et service professionnel.

>Ambiance: Ce restaurant est inexplicablement et malheureusement assez peu fréquenté. Très dommage, car son style est unique. Bon côté: super facile d'avoir une réservation.

+ Une cuisine créative originale et bien faite. Oh, et aussi les petits pains à la patate douce, servis chauds, qui fondent dans la bouche.

- L'ambiance vide.

On y retourne? Oui, et on appelle avant pour réserver et demander au chef de ne pas avoir peur de nous étonner.