Le cuisinier espagnol Ferran Adria a servi samedi son dernier dîner avant la fermeture de son restaurant mythique de la côte catalane, elBulli, classé meilleur du monde, après plus de 20 ans de menus qui ont bousculé les codes gastronomiques.

Par cette «dernière valse», comme inscrit sur le tee-shirt noir des serveurs, offerte à sa fidèle équipe et ses amis, Ferran Adria renonce, à 49 ans, aux trois étoiles Michelin qui ont récompensé une cuisine novatrice.

Pour commencer, les 50 invités ont goûté une version de son Martini sec - une bulle d'olive reconstituée placée sur la langue et sur laquelle on vaporise du gin et du vermouth.

Puis ont suivi une cinquantaine de plats: raviolis à la pistache, bouchée de gorgonzola, fleur dans son nectar, croquettes liquides de poulet, pétales de rose au jambon mariné au jus de melon, pouce-pied et caviar, filet de lièvre dans son jus, allumettes de soja...

Le restaurant de Cala Montjoi, qui surplombe la Méditerranée à deux heures de route au nord de Barcelone, doit renaître en 2014 sous la forme d'une fondation à vocation écologique, axée sur la recherche de techniques culinaires et de saveurs inédites.

La future «elBullifoundation» distribuera chaque année 20 à 25 bourses pour permettre à des chefs de venir s'exercer avec les cuisiniers du restaurant. Ses idées et ses trouvailles seront partagées sur internet.

«Nous avions créé un monstre et il était temps de trouver un moyen de le dompter», a expliqué à des journalistes Ferran Adria, entouré d'autres chefs de renom, vêtus de blanc pour l'occasion, qui ont partagé son aventure.

«La logique voudrait que ce soit un jour triste mais au contraire, nous sommes contents, extrêmement contents parce que le projet continue» par le biais de la fondation, a-t-il ajouté, confiant qu'il était épuisé de servir entre 30 et 50 plats par menu.

Ses amis ont eux vanté son esprit novateur: «Le courage et la liberté que nous défendons dans notre restaurant viennent d'ici», a lancé Rene Redzepi. Son restaurant Noma, à Copenhague, a détrôné elBulli, en 2010, comme meilleur restaurant du monde au classement du magazine britannique Restaurant.

Un titre que elBulli avait conquis à cinq reprises, en 2002 puis entre 2006 et 2009, un record.

«Voir quelqu'un prendre des risques et s'exprimer dans la cuisine, dans la nourriture, cela éclaire le chemin», a renchéri Grant Achatz, chef à l'Alinea à Chicago et ancien du restaurant catalan.

Chef à elBulli depuis 1987, Ferran Adria est connu pour avoir rénové l'image de la gastronomie espagnole, jusqu'à en faire une cuisine avant-gardiste.

Il avait annoncé en 2010 qu'il rendait son tablier, pour consacrer plus de temps à la création. Pour la même raison en 2001, juste au moment où le restaurant devenait célèbre, il avait décidé de le fermer le midi.

Le succès de son établissement de 50 places, ouvert pendant six mois de l'année, ne s'est jamais démenti, avec plus de deux millions de demandes de réservations par an pour 8.000 repas servis et la plupart des places attribuées par tirage au sort.

Le prix de ces repas dont la dégustation peut durer cinq heures: 270 euros par personne, sans compter le vin.

En dépit de sa popularité, elBulli accusait un demi-million d'euros de pertes chaque année. Pour redresser ses comptes, Ferran Adria avait lancé une série de produits dérivés estampillés elBulli, dont des livres, des accessoires de cuisine, donné des conférences et prêté son nom à une gamme de produits allant de l'huile d'olive à la coutellerie.

De quoi alimenter les critiques de ses détracteurs qui jugeaient aussi sa cuisine élitiste et prétentieuse.

Parmi eux, le critique gastronomique allemand Jorg Zipprick, pour qui Ferran Adria a «ouvert la porte aux additifs et aux arômes des laboratoires de l'industrie alimentaire, qui ont maintenant conquis le marché de la restauration».