Le lieu est splendide, l'espace vaste et luxueux (malgré sa taille tout en longueur) et le ciel, droit devant, parfaitement cadré entre une série d'édifices. Ils sont rares, ces endroits où le spectacle est surtout dehors. Ce sera aussi l'une des plus belles terrasses aux beaux jours, soyez-en certain. Le F Bar est surprenant à cause de sa situation et de l'originalité de son décor, donc, mais on ne vient pas manger rien que pour se regarder les uns les autres (ou le ciel, aussi grand fût-il), n'est-ce pas?

Il fallait à cet écrin d'exception un maître à bord qui puisse piloter l'embarcation, lui faire prendre une direction, inspirer l'orientation de la cuisine. Ce maître, c'est bien sûr Carlos Ferreira, qui a galvanisé la cuisine portugaise en ville dans un autre resto - celui qui porte son nom. Au F Bar, il a réussi le pari de faire un restaurant qui ne soit pas du tout portugais, mais qui se soit servi d'éléments de la cuisine portugaise et, surtout, de son placard d'ingrédients comme tremplin pour produire une sorte d'hybride, complexe et savant. Et pour réussir, il lui a fallu faire appel à un chef de grand talent, Gilles Herzog, Méditerranéen malgré son nom, formé chez Ducasse et Henriroux et chez nous auprès d'Éric Gonzalez. Des grands de la gastronomie française et surtout de grands maîtres de cette cuisine contemporaine qui métisse toutes les influences. En un mot, le F Bar vaut amplement le déplacement, parce que c'est un restaurant d'exception où chaque bouchée (ou presque) nous arrache des «wow»!

La cuisine du chef s'inscrit dans le registre fascinant des étincelles culinaires. Tout est clair, limpide, les ingrédients sont bavards et parfaitement assaisonnés. C'est aussi très beau à regarder et extrêmement bon. Car ce chef impose une dégaine véhémente à ses compositions qui ne font pas la roue inutilement: tout a le goût franc des choses bien choisies et bien composées. J'ai beaucoup aimé ce repas, un enchantement permanent qui a débuté avec une soupe de pois verts crémeuse, au milieu de laquelle flottait une sorte d'écume au porto, une cuillère de fromage crémeux, quelques croustillants de bacon et des filaments de menthe fraîche pour la surprise.

Autre montage surprenant, trois gros pétoncles poêlés reposant sur une purée d'aubergines et, au milieu de toute cette douceur, des noisettes rôties pour la texture, un peu de roquette pour des notes d'amertume et quelques morceaux de jambon frits pour le gras. Les idées fusent aussi autour d'un carpaccio d'agneau cru, mince et un peu trop délicat pour la garniture de beignets de tomates séchées et ce trait de vinaigrette au cari. Mais la purée de chou-fleur adoucit les épices et le gras des beignets. C'est très songé.

Autant que dans le petit filet de maquereau bien fondant, libéré du goût habituellement crayeux par une cuisson parfaite et facilité d'un montage de purée de haricots coco et d'un trait de lait d'amande. À cela on ajoute un contrepoint bien méditerranéen d'olives noires et de poivrons rouges.

Plusieurs plats se présentent ici directement en cocotte. C'est le cas d'un superbe flétan floconneux, reposant sur une exquise purée de pommes de terre, nappé d'une sauce crémeuse et ultrafine aux notes de Jerez et de beurre noir, et coiffé d'une sorte de salsa de raisins noirs, d'amandes et de persil. Ça peut paraître discutable au début, mais c'est un plat qui cherche et qui trouve.

Les ris de veau sont également servis avec cette même souplesse: une purée de courge suave et relevée, un peu de Sao Jorge, un fromage des Açores, et un trait d'huile de truffes pour une symétrie finale et terreuse.

Au dessert, même souci de finesse un brin fastidieuse, mais toujours élégante, un biscuit moelleux chocolaté et une mousse de banane avec sa glace; en verrine, un riz au lait de coco, coiffé d'ananas presque confit et un sorbet aux fruits de la passion et, enfin, une composition pointilliste de figues cuites au thé, de croquants de gingembre et d'un peu de yaourt glacé d'une blancheur aveuglante.

En un seul mot: voilà une des belles adresses de l'année.

F Bar

1485, rue Jeanne-Mance, Montréal, 514-289-4558

Prix: Raisonnable pour une cuisine et une atmosphère de cette qualité: entrées de 11 à 19$, plats à partir de 17$, desserts à 10$, comptez environ 140$ à deux, taxes et service compris, avec quelques verres de vin par personne.

Faune: Belle et bien mise, avec cet air serein des véritables gourmands et des joyeuses tablées.

Service: Sans le cérémonial pontifiant que ce genre de lieu a l'habitude d'encourager, serveurs sympas et rigolos.

Décor: Nullement intimidant, installé dans son «conteneur», à l'instar de son voisin, la Brasserie T.

Vin: La carte est entièrement faite de crus portugais, et c'est l'occasion de faire des découvertes. On facture raisonnablement au verre.

On y retourne? Manifestement, c'est un gros coup de coeur, alors oui!

Quoi rajouter au fond?

Si on doit reprocher quelque chose au resto, ce serait peut-être cet impondérable désir d'en faire un peu trop. Mais c'est une impression fugace. On se lève de table repu et ébloui.