Nous avons de la chance à Montréal d'avoir autant de petits bistros de quartier tenus par des chefs propriétaires. Certains proposent même une cuisine de haut niveau excellente, et parfois sont d'authentiques «affaires». Il faut se dire que les prix des restos ont sensiblement augmenté dans la dernière année et que, si l'on s'en tire en dessous de 100$ à deux pour une soirée dans un lieu qui a du pep et où l'on mange bien, il y a lieu de sourire.

Prenez Chez Chose, un petit bistro ouvert depuis un peu plus d'un an et demi et qui se taille une place à lui dans ce fouillis frappant des nouvelles tables de la ville. C'est un endroit assez unique dans ce sens que les patrons n'entendent pas suivre la mode, ni se plier (entièrement du moins) aux exigences du business. On y fait une cuisine d'inspiration française assez simple en apparence à partir de produits locaux choisis scrupuleusement. Les patrons souhaitent aussi favoriser une cuisine «éthiquement correcte», avec des viandes et des volailles soumises à des règles de traçabilité.

Le cadre propret évoque celui de tous les petits restos du Plateau: murs de briques rouge, petit comptoir au fond de la salle, tables sans nappages, fenêtres ouvertes sur la rue. Pour l'enjoliver, on a installé de larges cadres couverts de verdure (en plastique) quelques ardoises sur lesquelles on a inscrit les propositions du jour, qui changent souvent.

Cependant, la cuisine de la jeune chef manque un peu de limpidité et on a l'impression qu'elle ajoute trop de choses à ses assiettes: trop de légumes, de laitues, de garnitures, de couleurs. La cuisine - quel que soit son style - devrait s'effacer devant le produit justement, et si le propos est de favoriser la transparence, il faut se méfier du maquillage. Cela dit, les compositions sont généralement suaves, savoureuses et souvent justes dans les cuissons même si l'on dirait une cuisine ménagère un peu trop travaillée, parfois un brin compliquée pour rien. Si on met l'accent sur le produit, il parlera de lui-même, il sera bavard. Inutile de lui flanquer des distractions.

Heureusement, on sent qu'il y a de la recherche, que chaque plat est pensé pour sortir des sentiers battus. C'est un peu le bistro de l'anti-mode, quoi! On trouvera bien la joue de veau braisée et le cerf de Boileau, mais on pourra aussi choisir du pigeonneau rôti (c'est rare, ça), qui sera vraisemblablement traité avec une touche bien personnelle, des condiments inhabituels et parfois des assemblages et des associations de parfums un peu bizarres, mais qui fonctionnent (mojito et pétoncles, caramel et foie de veau).

Nous commençons par une soupe de gibier légère et parfumée, faites des os et des carcasses de pintade, de lapin et de pigeonneau. Bien qu'elle soit bonne, elle manque un peu de sel (et il n'y en pas sur la table) et voilà une petite chose qui serait plus convaincante avec un trait d'huile d'olive ou quelques herbes émincées. Une finition qui soit digne de la complexité des arômes.

En plat, le baluchon de lapin se présente de manière un peu disloquée sur une large assiette. Le baluchon est fait de pâte filo craquante et parfaitement ligoté dans lequel on trouve un hachis de viande de lapin, associé et cuisiné avec des pistaches, des pignons et des raisins, et des aromates qui semblent empruntés au garde-manger marocain. L'assaisonnement est fait avec délicatesse et la viande va à la rencontre d'une sauce un peu épaisse et légèrement farineuse. Autour, on a servi une salade de roquette nappée d'une émulsion douce, parfumée au sirop d'érable, et des pommes de terre rôties au beurre en plus de quelques morceaux de fruits frais bien superflus. La cuisse de pintade farcie - pintade d'élevage, il va s'en dire, une viande assez peu distincte du poulet - est déposée sur un assortiment de légumes racines braisés, carottes, navets, rutabagas, et des mêmes pommes de terre au beurre. Les cuissons sont impeccables, la sauce un peu envahissante et douce, mais elle convient à ce genre de viande moite et bien grasse, mais un peu trop salée.

En finale, nous choisissons une panna cotta à la noix de coco, servie avec un shooter de noix de coco et de rhum, et présentée avec des ananas rôtis aux épices. Sinon, une tranche de quatre-quarts poêlé et parfumé à l'huile de truffe - je ne suis pas convaincu - couverts de tranches fines de pommes poêlées et un peu trop sucrées, saupoudrées de poivre rose. Ouf!

Chez Chose

4621 rue Saint-Denis

514 843-2152

Prix: Il n'y a pas vraiment de formule table d'hôte, si ce n'est qu'il faut ajouter 11$ aux plats principaux (16$ à 35$) pour avoir droit à la soupe et au dessert, ce qui revient en moyenne à 36$ pour 3 services. Disons qu'avec deux verres de vin on s'en tire à un peu moins de 100$ à deux, taxes et services compris.

Service: fait par des patrons d'expérience, joviaux et enthousiastes.

Faune: locale, jeune, animée et arrimée aux Blackberryes pendant les repas.

Vin: Bonne petite carte avec quelques crus (trop peu) au verre. Des prix raisonnables de ce côté-là.

On y retourne? Au bout du compte, oui.

Plus: la bonne humeur des patrons qui veulent vraiment « cuisiner » et faire bien. Et c'est un endroit généreux pour les brunchs du dimanche.

Moins: c'est un peu cher pour ce genre de cuisine pas complètement aboutie, considérant les prix pratiqués tout autour.