Comme c'est souvent son habitude, Alain Creton, patron du restaurant Alexandre et fils, a organisé une sorte d'off-festival qui précède et qui annonce l'arrivée de Montréal en lumière. Fidèle au thème féminin de l'année, son invitée à lui est aussi une grande dame de la cuisine: Caroline Rostang, à la barre avec sa soeur Sophie de cinq restaurants réputés au coeur de la capitale française.

Caroline Rostang a le phrasé des gens agissants. Elle a l'accent parisien, vif et qui percute, mais fait preuve d'une aisance et d'une simplicité qu'on ne rencontre pas souvent chez les gens de ce milieu. Pourtant, elle vient d'une famille - six générations au bas mot - de restaurateurs français. Et certainement l'une des plus célèbres à s'être installées à Paris. Le père de Caroline, Michel Rostang, est le chef et l'âme du restaurant doublement étoilé qui porte son nom. Ça représente tout un héritage, mais aussi toute une responsabilité pour ses deux filles qui aujourd'hui dirigent elles-mêmes autant de restaurants.

La cuisine française souffre parfois d'une sorte d'affectation pétrifiée quand elle est réinterprétée loin de ses racines. Quand elle est bien faite, quand elle exprime sa complexité avec délicatesse, et quand elle est libérée de contraintes désuètes et de produits époustouflants (chers et rares), cette cuisine nerveuse révèle une voluptueuse liberté. En même temps, il y a aussi une autre sorte de cuisine française que celle honorée dans les Michelin. Il y a celle des bistros dits gourmands, juste un peu moins spectaculaire et ornementée, et juste un peu plus spontanée. On y favorise les produits moins luxueux, on fait revenir la queue de boeuf, on ressuscite le topinambour, on préfère le hareng à la sole de Douvres. Et ce sont maintenant les grands qui s'en inspirent, pas le contraire.

Comme chez Rostang

C'est cette cuisine-là à laquelle nous avons eu droit (et que les chefs du restaurant vont servir jusqu'à la fin de Montréal en lumière), à partir de plats qui sont souvent aux cartes de l'un ou l'autre des restaurants Rostang. La formule est de cinq services pour 65$ (28$ le midi) et ça les vaut amplement pour ce genre de cuisine naturelle qui fouette et les sens et l'intelligence. Avant toute chose, on apporte de petites mises en bouche faites d'une sorte de club sandwich miniature aux sardines et rendues moelleuses par l'ajout d'un fromage à la crème et d'une note de moutarde. Le résultat est pour le moins impérieux, avec un parfum marin puissant et persistant qui vous couvre la bouche du gras du poisson. Ce n'est pas une entrée en douceur. Mais, comme c'est souvent le cas avec de bons cuisiniers, il faut alterner les choses puissantes avec les douces.

La mousseline de Saint-Jacques est de cet ordre là: un velouté très fin et pourtant complexe avec des arômes de champignons et de poireaux, très crémé sur un fond intense dans lequel flottent quelques dés de pétoncles. On poursuit avec un plat un peu audacieux, un macaroni au homard. L'audace étant d'user de l'appellation italienne, de saupoudrer d'un peu de Parmigiano-Reggiano un crustacé (une hérésie en cuisine française) et de servir le tout dans une sorte de cocotte en terre cuite. Or, les macaronis se présentent dans une bisque de homard crémeuse et riche au goût maritime intense, légèrement piquante et tomatée, sur lesquels on a déposé un peu de chair et un peu de fromage. Et ça marche.

L'épaule d'agneau confite est présentée de deux manières: dans un premier temps, découpée finement puis déposée sur une purée de pommes de terre et, en second lieu, fourrée dans un petit ravioli absolument succulent. On n'en laisse même pas une miette tellement ça fond en bouche.

Le service fromage, une galette de pommes de terre rattes, finement tranchées et empilées dans un cercle, sur lequel on fait fondre un petit chabichou, procure de petites émotions, c'est une demi-finale en textures, originale. La vraie finale elle aussi se présente en deux temps. Soit un gâteau au chocolat fait de quatre ingrédients, mais d'un chocolat de grande qualité. De ce genre de gâteau mi-cuit sans farine qui rappelle un peu les brownies en un peu moins sucré. Soit un petit ananas victoria, fourré d'une crème caramel, avec quelques notes salées sur le dessus.

Vous voyez que ce n'est pas la grande pâtisserie élégante qui surchargera votre carte de crédit. Juste une petite conclusion loquace et modeste. Rien de tonitruant, juste la perfection de la simplicité. C'est ce que l'on veut de la bonne cuisine au fond, pas d'éclat, mais de la maîtrise et, malgré la crème, le beurre, les viandes riches, on veut que ça ronronne du début à la fin dans une jolie courbe. Et c'est exactement ce que nous promet cette invitée de marque qui a réussi son pari de recréer sa cuisine chez nous.

Caroline Rostang chez Alexandre et fils, 1454, rue Peel, Montréal, Réservations: 514-288-5105