Les restaurants qui sont à la fois bons et calmes sont des perles rares. S'ils existent bel et bien, ils sont supplantés par les restaurants bons, mais... exaspérants! Les lieux bruyants, les décors ronflants, la faune voyante et fracassante, tout cela semble devenir peu à peu la norme. Oubliez l'intimité!

Prenez le Jane, un bistro de Griffintown comme on en fait dans plusieurs grandes villes américaines et canadiennes où les Britanniques ont laissé des traces. Ambiance et décor de pub chic, du bois et de la brique rouge industrielle, une banquette couverte de cuir le long du mur, service informel et sexy, cuisine fusionnelle, les repères sont vaguement londoniens, les contrepoints un peu italiens, juifs, grecs ou moyen-orientaux, la clientèle jeune et excitée. Et retentissante, comme le fond sonore rock des années 70. Ajoutez des cocktails sexy et colorés, des shooters, des mojitos aux framboises et vous avez la recette d'une bombe H pour faune urbaine du vendredi soir.

Jane est le genre d'endroit où l'on vient pour grignoter longuement. Il nous semble que la structure habituelle d'un repas normal fait un peu défaut ici. En fait, on a davantage envie de boire et parler athlétisme que manger et discuter philo. C'est comme ça, il en faut, des lieux où on se laisse aller.

Au menu

Le court menu proposé au tableau noir offre une dizaine d'entrées, dont quelques curiosités sorties tout droit de la vie du chef, des «gnudi» - une sorte de gnocchi... sans pommes de terre -, quatre pizzas et une grillade - ce soir-là, un steak de flanc, appétissant et bien saignant, taillé en aiguillette.

Nous lui préférons une salade d'endives au bleu, avec des pommes granny smith bien croquantes, des pistaches légèrement rôties et des grumeaux de fromage bleu. Tout ça nappé d'un trait d'huile, pas trop parfumée et qui permet au fromage de prendre la tête. Bonne association classique anglaise, qu'on utilisait autrefois avec du Stilton. Ici, c'est un bleu sans grande envergure, mais goûteux (dont personne de la brigade ne se rappelle le nom!). Les meat balls sont bien assaisonnées et succulentes, nappées d'une sauce tomate et servies sur un croûton grillé, accompagnées de rapini sauté à l'huile. Pour un plat «pauvre», c'est joli comme tout et presque attendrissant. La pieuvre est grillée parfaitement - la chair est fondante -, on sert tout ça avec des petites pommes de terre sautées à l'ail - beaucoup d'ail - et des tranches de chorizo, c'est la mode, on en voit partout. Manifestement, le chef sait y faire, c'est un plat hybride aux parfums francs comme un coup de poing. Il y a aussi du canard, des croquettes de crabe et même parfois des burgers.

Pizzas

Dans le rayon pizzas, on propose des choses carrément ésotériques: pizza au macaroni? Pizza à la moutarde, smoked meat et cornichons? Au porc confit? Nous restons dans le classique tomates et fromage mozzarella, un choix qui nous rassure un peu. Du reste, la pâte est gonflée et savoureuse, avec juste assez de levain qui lui donne une pointe d'acidité, la garniture est bien cuite et étalée, avec un peu d'origan sur la sauce. Ça nous rappelle les pizzas faites à la maison, sans moule, et servie sur une feuille de papier sulfuré. Disons-le, elle est tout à fait délicieuse.

En finale, il n'y avait qu'une seule proposition (on nous dit qu'il y a habituellement des beignets frais, mais qu'il n'y en a plus ce soir-là), un petit pot de crème au chocolat coiffé d'une cuillère de crème fouettée. Bon. Un peu dense, riche, sucré, trop pour une finale, en fait. Ça nous colle la langue au palais et on en prend une seule cuillère. À la fin on se dit que chez Jane, il y a une cohérence entre la clientèle, la cuisine faussement indigente, mais soignée, la musique et même les tatous des serveurs: tout fonctionne à l'unisson comme un «Middle of the Road» revendiqué.

Restaurant Jane

1744, rue Notre-Dame O.

514-759-6498

On y retourne? Pas sûr.

Prix: Entrées à moins de 17$, pizzas autour de 20$, une grillade à 22$, des douceurs facturées allègrement, avec quelques verres, on arrive vite à 100$ mine de rien. Tout compris.

Faune: Moins de 35 ans, très anglo délurée, et qui cherche à épater la galerie par ses effusions de cris et de rires.

Service: Malgré quelques hics, les serveurs qui ont une gueule de mannequin sont assez aimables et, s'ils manquent d'expérience, ils sont souriants. En revanche, l'accueil est comme une douche froide et en anglais uniquement.

Vin: Assez jolie carte avec des crus d'un peu partout. Mais très peu de choix au verre, trois rouges et trois blancs. Tous facturés plus de 12$!

Plus: Cuisine expressive, qui va de l'avant, originale avec ces traces d'anglophilie innocente qui laissent le produit parler. Sans maquillage, extrêmement simple, mais il y a du goût là-dedans.

Moins: On le répète, resto ultra-occupé, bruyant (on fait deux services les week-ends), presque à la limite du tolérable. Musique à fond la caisse de CCR et Led Zep'. Ceux qui cherchent la détente iront ailleurs!