À première vue, Stéphane Bibeau semble être le plus veinard des entrepreneurs québécois à New York. Après tout, Halle Berry lui a fait une faveur inestimable lundi soir dernier en acceptant d'aller manger au Nuela, grand restaurant qu'il vient d'ouvrir avec le chef Adam Schop dans le Flatiron District. Pas moins de 50 photographes de presse attendaient la star hollywoodienne, qui en avait été informée au préalable.

Résultat: dès le lendemain, tous les sites internet et les journaux intéressés à la vie des célébrités ont publié une photo de Halle Berry et Stéphane Bibeau à la sortie du restaurant, dont le nom était bien en vue. Le magazine OK! a même cru que le copropriétaire du Nuela était le nouvel amoureux de l'actrice - ce qui n'a pas dû déplaire à l'intéressé, même si c'était faux. En fait, il a connu Halle Berry par l'entremise de son ami, le mannequin québécois Gabriel Aubry, au temps où ces derniers formaient un couple.

«C'est incroyable ce qu'elle a fait pour nous, a dit Bibeau à La Presse, qui l'a rencontré dans son restaurant de 200 places. La fréquentation de notre site a décuplé du jour au lendemain. Tout le monde lit les potins - surtout les stars, leurs agents et leurs équipes de relations publiques. Ça donne une espèce de crédibilité.»

Mais avant le passage de Halle Berry au Nuela, il y a eu celui de Sam Sifton, critique gastronomique du New York Times, qui a salué dans son prestigieux journal le talent du chef Adam Schop, 33 ans, dont le menu fait la part belle à la nouvelle cuisine latino-américaine.

«On mange bien, au Nuela», a écrit Sifton, non sans ironiser sur l'ambiance du restaurant, dont le décor aux teintes rouges et orangées et la clientèle habillée en Prada lui ont fait croire pendant un instant qu'il se trouvait dans une boîte de nuit de Miami.

«Nuela n'est pas un restaurant où discuter de Goethe ou de votre divorce imminent, de la situation en Afghanistan ou de votre désir d'avoir un autre enfant, a précisé Sifton. Mais quel restaurant s'y prête ou devrait s'y prêter?»

La critique du Times a comblé Bibeau, homme grand et élancé qui préfère les jeans et les baskets aux complets et aux souliers vernis. «Sam Sifton écrit 40 critiques par année, a-t-il dit. Le fait qu'il en ait publié une sur notre restaurant seulement huit semaines après son ouverture tient du miracle. Nous avons de la chance.»

Un projet éprouvant

Âgé de 40 ans, le Sherbrookois d'origine explique que l'ouverture du Nuela est la chose la plus difficile qu'il ait faite à New York, où il vit et brasse des affaires depuis une quinzaine d'années dans les domaines de l'immobilier, de la musique et du cinéma, notamment. À l'origine, le restaurant devait permettre à Douglas Rodriguez, une des stars de la gastronomie latino-américaine, de faire sa rentrée à New York, où il avait fait sa marque dans les années 90 avant d'ouvrir une série de restaurants dans plusieurs villes, dont Miami, Chicago et Philadelphie.

Bibeau venait à peine de signer un contrat avec Rodriguez et un bail pour le local du 43, 24e Rue Ouest quand le marché de la finance s'est effondré, à l'automne 2008. «Je me suis retrouvé en janvier 2009 avec un bail, un chef, un local à moitié démoli et un hiver glacial, s'est souvenu Bibeau. Plus aucun des investisseurs qui s'étaient engagés auprès de moi ne répondait à mes messages. Ç'a été très, très dur.»

Bibeau aura englouti une somme importante dans cette entreprise avant de réussir à mettre un terme au contrat de Rodriguez et à convaincre un de ses protégés, Adam Schop, de s'associer avec lui pour ouvrir Nuela. En janvier 2010, la construction du restaurant a repris au moment où de nouveaux investisseurs ont commencé à placer leur mise dans ce projet de 5 millions de dollars qui emploie aujourd'hui 70 personnes.

Nuela est le deuxième restaurant de Stéphane Bibeau, qui avait ouvert Fuego dans l'East Village en 2006 avec Gabriel Aubry, son ancien partenaire d'affaires. Les deux Québécois ont décidé de vendre leur entreprise deux ans plus tard en raison de la difficulté d'obtenir un permis de vente d'alcool dans ce quartier de Manhattan.

Le troisième restaurant new-yorkais de Bibeau, un grill argentin, est déjà en chantier, dans le même pâté de maisons que le Nuela.

«J'aime créer un concept, rassembler des gens, trouver le financement, explique Stéphane Bibeau. Une fois que c'est ouvert, je passe à autre chose. Là, je suis dans l'autre restaurant.»

Photo: Andrews Steinman, fournie par le Nuela

«On mange bien au Nuela», a écrit Sam Sifton, critique gastronomique du New York Times, non sans ironiser sur l'ambiance du restaurant, dont le décor aux teintes rouges et orangées et la clientèle habillée en Prada lui ont fait croire pendant un instant qu'il se trouvait dans une boîte de nuit de Miami.