Le bistro L'un des sens a été fondé par un tandem de chefs d'emblée plutôt dissemblables: l'un provençal, l'autre québécois, le premier de la génération Ducasse, le second de ses élèves. Ils ont en commun d'avoir travaillé ensemble à l'hôtel Nelligan, dans le Vieux-Montréal, et d'avoir envie de liberté créative et de s'éloigner des foules où les touristes vous plongent dans l'anonymat.

En tout cas, ça donne un lieu d'allure chic, un peu déluré, mollement ténébreux - beaucoup de noir, de rouge hémoglobine, quelques tentures. Côté cuisine, on s'éclate avec des produits locaux surtout, que l'on travaille avec soin et une excellente maîtrise technique.

 

Avant toute chose, le chef envoie des amuse-bouche, quelques tranches fines de canard fumé, une brunoise de concombre frais, une compotée de mangue et un filet d'huile parfumée au paprika. Un alliage harmonieux. Le potage de chou-fleur et de gingembre qui suit est proposé en inspiration du moment, le chef improvise cette petite chose fine et rustique à la fois, crémeuse, délicatement relevée sur laquelle il plonge une quenelle de brandade de morue.

Une salade de jeunes pousses de roquette, de julienne de carottes et de pain croustillant ne déjoue pas vraiment les courants, mais c'est travaillé et fin, les goûts, les assaisonnements et les parfums sont francs et limpides.

Avant la séquence principale, on nous propose un sorbet rouge, un peu trop sucré pour servir de décapant, cependant. En plat, la souris d'agneau braisée longuement et nappée d'une sauce très foncée, dense, manifestement à base de vin, mais aussi d'aromates qui, en vertu de la longue et lente cuisson, ont été totalement fondus, se présente sur une purée de panais dans un dispositif coloré et accentué d'un peu de piment, de quelques rabioles et choux de Bruxelles sautés et coiffé de pousses de pois frais. C'est beau à voir, comme ça, étalé sur une faïence blanche.

L'omble de l'Arctique (ou plutôt chevalier) est poêlé et nappé d'une émulsion citronnée et onctueuse, servi avec une sorte de risotto de quinoa et de poireaux autour duquel on a allongé une spatule de purée de ratatouille. C'est beaucoup d'information pour un seul plat, mais tout est savoureux et tous les éléments s'enrobent les uns les autres avec grâce. La chair du poisson est tout simplement exquise, la sauce et la ratatouille servent de contrepoint et, là encore, rappellent qu'on peut plaquer des notes méridionales dans une composition sans choir dans la bouillabaisse.

Les douceurs simples sont de plus en plus difficiles à trouver. À la manière du jeune über-pâtissier Patrice Demers qui l'a popularisé le premier, on présente une sorte de pot de crème dans un pot Mason: plusieurs couches étalées, panna cotta, mousse au café, crème, crumble et enfin des morceaux de gâteau au chocolat nappés de caramel au beurre salé. Juste un peu trop de tout dans ce dessert trop riche, trop sucré.

Bref, on ne vient pas ici pour chercher la simplicité, devenue quasi virtuelle dans nos vies domestiques et défractionnées. On vient ici pour être secoué, intrigué devant cette vision bien personnelle et un peu rococo de la cuisine de notre temps.

L'UN DES SENS

108, avenue Laurier Ouest 514-439-4330

Prix : Moins cher qu'un resto prétentieux mais normal pour un bistro chic et bourgeois, des plats autour de 25 à 35$, des entrées à moins de 15 $, comptez donc autour de 160$, tout compris avec 4 verres de vin.

Faune: Ce soir-là, soirée de hockey oblige, des gars en groupe (et cravatés) savourant des martinis au bar, tonitruants et mal fagotés, des couples surtout, soupirants cossus et détendus, à l'image de la rue et du quartier, car le lieu se prête à l'intimité.

Service : courtois, informé, souriant et doux.

Vin: Carte modeste avec quelques excellents petits crus, à prix modérés, je dis bien modérés. Au verre : trois ou quatre choix par catégorie. On nous dit que ça change assez souvent !

+ Les petites surprises qui apparaissent ici et là et qui font de ce repas généreux une exception notable dans le coin.

- Je ne sais pas si c'est le décor ou le plafond bas, mais le son frappe sur les murs, rebondit et jaillit dans nos oreilles comme des coups de cymbales. Peut-être encore ce sacré hockey ! On y retourne? Certainement.