Un petit tartare sanguinolent, moulé et présenté sur une assiette rectangulaire d'une blancheur immaculée, qui repose à côté d'un condiment acidulé et bien vert, une branche de persil frais. C'est tout simple, et pourtant, ça augure bien.

La viande - de la bavette de boeuf - est tranchée à la main, on sent le jaune d'oeuf cru et les cornichons qui lui donnent un peu de sérieux, c'est parfaitement assaisonné, et en bouche, c'est décomplexé, suave, parfaitement adapté à nos frissons hivernaux. En tout cas, comme entrée en matière chez Picapica, et pour un resto qui fait dans les tapas, c'est beau et bon comme tout.

 

Le restaurant lui-même, ignoré par les épicuriens minute, n'a pas de chef à grande pointure et n'est pas dans le circuit des adresses à la mode à mettre sur son calepin à tout prix. Malgré des airs franchement branchés, et une faune qui porte des manteaux Canada Goose, on semble à l'écart du royaume des suffisances sexy. Or, on y fait tourner de la musique lounge, on y sert des cocktails polychromes et, passé 22h, quel que soit le jour, le bar et les banquettes sont pris d'assaut.

Grosso modo, Picapica n'est pas dans le circuit, mais a tous les attributs pour en faire partie. Son décor est net et tranchant, avec ses tuyaux d'aération industriels, son bar longitudinal où l'on s'attarde pour manger et, surtout, admirer; un éclairage diffus, une rangée de banquettes qui encouragent la promiscuité, en un mot l'espace est agréable et intime.

En cuisine, et malgré le nom, on trouve des propositions qui ne sont pas exclusivement latinos, à part le menu dont les appellations sont rédigées en espagnol. Étrange quand on pense que la maison sert de la salade César, des cailles confites, des plats «sautés aux épices des îles», de la salade de mangue à la coriandre et au jus de lime.

En fait, il n'y a pas de genre précis sur le menu, seulement une forme, celle des portions lilliputiennes à laquelle on a surtout associé l'Espagne. Mais toutes les cuisines de la Méditerranée ont la leur: mezze, hors-d'oeuvre, antipasti, mezze grecs, sfizi de Naples... l'idée étant le partage et la convivialité. En ce sens, les plats que nous apporte en succession le gentil serveur frappent dans le mille.

Et qu'importe si les plats sont de nature hybride - un peu à la manière des Spoon d'Alain Ducasse -, leur confection est rigoureuse, précise et les ingrédients sont sincères et traités avec minutie. Et puis, on aime bien ce genre malin, des ingrédients de partout, pigés à l'Orient comme aux Caraïbes, des mélanges décontractés, qui reflètent aussi ce que nous sommes devenus: des métis.

Alors, qu'est ce qu'on trouve dans cette carte? Des champignons sautés à l'huile d'olive et à l'ail, déglacés d'un trait de vin blanc, de l'épaule de porc marinée dans les épices et braisée longuement (peut-être dans du jus d'orange ou quelque liquide acidulé), la viande effilochée et parfaitement fondante et savoureuse, ou des morceaux de boeuf braisés au vin rouge; voilà des plats qui collent aux hanches, qui sont d'une nature franche, habillés sobrement.

Puis il y a les poissons, crevettes sautées à l'ail, bien sûr, ou avec la sauce africaine piri-piri aux piments forts, ou les beignets de crabe qui montrent une ascendance antillaise, ou les moules à la portugaise ou encore le saumon noirci de Paul Prudhomme, de La Nouvelle-Orléans.

Vous voyez le topo: on ne s'agite pas dans des nationalismes gastronomiques superflus. Et pourtant, il y aurait de quoi s'alarmer quand on chaparde au monde entier. Mais on le fait avec aplomb et sang-froid. Enfin, il y a ce plat de haricots braisés avec de la saucisse, du canard confit et du lard fumé, sorte de cassoulet ou de fabada, et c'est notre terminus protéiné autour d'un menu dans lequel la verdure est visiblement absente. Pour ça, il faudra peut-être attendre l'été.

En tout cas, les desserts sont anecdotiques en comparaison, un shortcake crémeux qui masque tout, y compris notre boulimie.

Picapica

1310, boulevard de Maisonneuve Est 514-658-2874

On y retourne?
Oui!

Prix: Pour les tapas, on s'en tire autour de 10$ (à part les tartares, de 14$ à 19$), le double pour les grillades, comptez 100$ à deux tout compris, taxes, service et quatre verres de vin.

Faune: À la mode, bien sûr, celle de la tribu du Village: beaux garçons fringués comme des stars, belles filles de caractère, mondaines et métissées, bref, un style cohérent avec les ambiances du coin.

Service: Gracieux et fringant, avec une pointe d'humour.

Vin: Carte courte mais bien faite avec des propositions facturées raisonnablement. Quelques vins espagnols au verre.

(+) Des plats présentés en deux vitesses (portions tapas), ce qui permet de diriger son repas et de faire le tour de la carte.

(-) Un menu en papier, une photocopie brochée! Pas très sérieux.