Quoi dire de ce Méchant boeuf si on ne veut pas être méchant soi-même? Que c'est gentiment... bruyant et que c'est irréprochable pour les nostalgiques. D'ailleurs, c'est la mode de ce temps-là. Il y a comme un trafic du souvenirs dans les restos-bars; on vous sert le bon vieux temps à toutes les sauces. C'est un endroit où l'on se laisse envoûter par l'ambiance et quand on entend le duo folk entamer Don't Let Me Down, c'est la totale!

Le décor ressemble à s'y méprendre à ces vieilles boîtes à chansons du Vieux-Montréal, avec une touche moderniste ici et là, des miroirs, des lampes qui évoquent les années 60, des touches de couleur pour faire contraste avec l'austérité du lieu. Les banquettes et les poufs en velours bourgogne (un peu bas d'ailleurs), les chandelles, c'est un voyage dans le temps. On veut faire brasserie européenne, mais je sens davantage le bar-salon de l'Abitibi!

 

Dès qu'on ouvre la porte, on imagine l'adrénaline en cuisine. La clientèle s'attable autour du bar pour écouter la partie de hockey. Il y a comme un grondement ambiant qui précède l'imminence d'un spectacle: le téléphone sonne, les garçons sont agités, et ça bouge dans tous les sens. Ça chante même Happy Birthday. Il y a une sacrée ambiance, c'est vrai.

Et qu'est-ce qu'on mange? Des nourritures très «testostéronées», de quoi vous remplir d'énergie. Méchant boeuf, c'est un peu le triomphe d'une certaine cuisine virile. Cela dit, les entrées sentent un brin le croisement de branché et de classiques. On trouve même une poutine (de Charlevoix?) au porc braisé et au Migneron. Là, c'était aller trop loin dans la nostalgie, on n'a pas osé.

Nous avons choisi une «dégustation de trois tartares», saumon, thon et boeuf. Hachés au couteau et habilement présentés sur une assiette blanche rectangulaire avec une sauce trop franche et pimentée pour ces chairs crues et délicates. On les avale toutes nues, mais elles manquent un peu de sel.

Les mini-hamburgers - il y en a trois - sont délicieux et bien garnis; la mayonnaise est même présentée dans des petites cuillères à soupe en porcelaine. Exactement le genre de plat à grignoter avec des copains autour d'une bière. En guise d'entrée pour un repas, c'est moins sexy.

Ensuite, ça se complique. Il y a beaucoup de grillades de boeuf, et elles sont de très bonne qualité; la cuisson est maîtrisée et les accompagnements judicieusement choisis. Ainsi, le filet mignon sur l'os est abondant, la viande est succulente et rouge. En un mot, tout cela est travaillé avec précision. On l'associe à des pommes de terre rattes sautées au poêlon, et un panaché de légumes, poivrons, carottes, luisant d'huile d'olive. C'est généreux et affriolant.

Par contre, le poulet annoncé rôti sur canette de bière Boris et servi avec de la sauce barbecue est d'une affligeante banalité. D'abord, il n'y a plus de bière Boris sur laquelle faire rôtir la volaille - on nous l'annonce une fois le plat commandé.

Ensuite, le poulet est à demi cru, la chair de la cuisse encore saignante, la peau blafarde, sans croustillant. Puis, la sauce goûte la boîte de conserve. Oui, le plat est spectaculaire, un poulet entier pour une personne, empalé debout sur un bidule métallique, ce n'est pas commun. Mais ça ne goûte rien. Nous en laissons les trois quarts, espérant de la finale une rédemption momentanée. Qui n'est pas venue.

La tarte au citron est trop sucrée, sans esprit, flasque. Elle n'aura droit qu'à une bouchée. Ce Méchant boeuf a donc un peu de travail devant lui. C'est beau, la candeur et l'apparence, mais la bonne cuisine exige aussi détail et rigueur.

Méchant boeuf

124, rue Saint-Paul Ouest Tél.: 514-788-4020

On y retourne? En tout cas, pour les gentils barmen!

Prix: beaucoup trop cher pour ce que c'est. Une brasserie, avec un menu de brasserie, mais des prix de restaurant d'hôtel! Ah! Mais j'oubliais, c'est un restaurant d'hôtel! Entrées à plus de 10$; plats de 20$ à 39$; desserts à... 9$!

Faune: comme dans tout «boy-bar» qui se respecte, il y a beaucoup de... filles, pomponnées, fardées. Il y a des costards, des foulards chic de chez Dior, des jeans griffés à 500$, et beaucoup de tatouages et de piercings à côté des montres Breitling!

Décor: elle est ici la nostalgie, dans ce décor de murs de briques et de pierres.

Service: enthousiaste, désinvolte, et ma foi un peu naïf!

Vin: une carte courte, dont les prix s'affolent rapidement. Des bouteilles vendues en SAQ à 20$, qui triplent une fois rendues dans le Vieux! Assez peu de choix au verre. Mais si vous aimez, il paraît que le Bloody Caesar est d'enfer! Le meilleur en ville, selon une amie qui s'y connaît.

Trop sombre. On y voit à peine le bout de son nez. En outre, tous les plats de la carte ou presque ont été vus ailleurs en ville (la poutine chez Picard; le filet mignon à l'Os; le poulet vient du livre de Raichlen).

Intrépide compromis esthétique entre le vieux et le neuf, entre le passé et le futur, entre la cuisine et... le snack!