Les voici de retour, nos philosophes soufis préférés. Ils avaient créé un havre de paix et d'universalisme (culinaire et autre) enluminé d'exotisme dans les rues tranquilles d'Outremont. Au milieu du fiévreux boulevard qui tranche la ville en deux, ils ont installé un deuxième restaurant, Rumi Grill & Café, pimpant et déluré, qui diffère du premier par son apparence moins habillée, et par son menu plus humble. Côté décor, on dirait la naïve simplicité d'un café étudiant : chaises de bois, affiches folkloriques, éclairage tamisé, quelques plantes, rien qui secoue, rien qui impressionne non plus. On vient ici pour manger, vous vous rappelez ?

Mais humilité ne signifie pas banalité. Car les gars de Rumi sont futés, ils connaissent bien cette cuisine relevée et métissée de tout l'Orient et ils appliquent des principes de fraîcheur et de spontanéité dans sa préparation qui feraient rougir de honte plusieurs restaurateurs soi-disant sérieux et qui font souvent de l'à-peu-près - tendance lourde par les temps qui courent. Ici, comme à Outremont, tout est fait à la minute ou presque, les produits sont frais et pétillants de vie, assemblés à la commande.

Mais ce qui distingue ce resto relèverait davantage d'un certain esprit de sédition écolo-bio global. Comment ? En puisant dans le répertoire de la route de la soie (ou des épices), une cuisine saine et principalement végétarienne inspirée de l'Inde et du Maroc, en passant par le Liban et l'Iran. Une cuisine qui, si elle est surtout végétale, n'empêche pas la protéine animale (principalement sous forme de grillades) de figurer au menu. Ici, végétariens et carnivores se côtoient dans une désarmante intelligibilité, sans fondamentalisme. Oui, il y a bien un peu de prêchi-prêcha mondialiste, de fraternité humaine, de protection de l'environnement. Oui, nous savons que le but de nourrir les hommes ne contredit pas celui de protéger les ressources. Oui pour tout ça et plus encore. Mais trop souvent, ces beaux conciliabules appliqués à la nourriture donnent une cuisine dénaturée où le manque de goût (et de sel) justifie tout le reste. La cuisine de Rumi a du goût, beaucoup en fait, et on ne lésine ni sur les épices, ni sur le gras quand il en faut, ni sur le sucre s'il y en a dans les plats. Cela me rappelle la cuisine d'un resto londonien - Moro - qui a réussi à faire un resto moderne et respectueux de l'environnement, sans trafiquer le goût des plats, sans imposer de mode d'emploi ni de chorégraphie obligatoire.

Au menu, nous le répétons, des mezze de toutes sortes, du Liban et de Turquie surtout, à base de légumes frais, nappés d'huile d'olive, saupoudrés de persil frais, croustillants, tonifiants, comme cette salade fattouche, assemblée quelques secondes avant d'arriver sur la table. Faite de poivrons rouges, de tomates, de concombres, d'oignons, de romaine, de beaucoup de persil, de menthe fraîche et de morceaux de pain plat sec, qui apporte le croustillant, assaisonnée avec précision, nous l'avons dé-vo-rée. C'était curieusement le meilleur moment du repas, nous y revenions sans cesse.

Autour d'une salade de concombres, de coriandre et de tomates, ou d'une purée de piments et de noix à la mélasse de grenadine, le mouhammara, ou de pois chiches classiques mais garnis d'agneau haché sauté et de pignons, ou d'un ragoût de foul, le plat national égyptien, des fèves cuites avec des tomates et des oignons, nous avons cédé à une sorte d'euphorie végétale, comme une pluie chaude d'été qui nettoie tout. Dans ce cas, c'était nos intérieurs, vitaminés par ce passage par les fourrages.

En plat, un poulet mariné au safran n'était pas inintéressant, un peu statique dans la présentation certes, avec du riz et une sorte de sauce citronnée plutôt bien relevée. Ou un sauté d'agneau en cubes, grillé et au goût un peu fumé, enroulé dans un pita façon sandwich de rue, mais rempli de sauce, de dés de tomates, et de cornichons, un plat qui demande une dextérité spéciale car un filet incontrôlable de liquide s'en échappe. Vous en aurez sur les doigts, autour de la bouche, il se peut qu'il en atterrisse un peu sur votre chemise. À ce compte, mieux vaut ne pas porter de vêtements griffés. En finale, s'il vous reste de la place, les baklavas, bof ! Ou des biscuits aux pistaches à la fleur d'oranger, nettement meilleurs.

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Rumi Grill & Café

4403, boulevard Saint-Laurent

Montréal

514-670-6770


> On y retourne ? C'est bien simple, si on habitait tout près, on en ferait notre cantine.

> Prix : Belles portions d'une cuisine largement végétale facturée de 5 $ à 8 $ pour les entrées et mezze, et des assiettes complètes de 12 $ à 15 $. Comptez environ 60 $ pour deux repas très copieux, tout compris.

> Faune : C'est devenu un rendez-vous un peu bohème, un peu « baba », des jeunes avec la chemise qui sort des pantalons chez les gars et le foulard dans les cheveux pour les filles, qui se réchauffent au Earl Grey bio. Ça nous change des cravatés et autres tailleurs.

> Décor : Tout le contraire d'un resto de frime : absence totale de poseurs, de marques déposées et...

de décolletés. Ce soir-là, il y avait plutôt quelques hidjabs !

> Service : Sympa, informel et au féminin. Souriant, surtout !

> Vin : On ne sert aucun alcool ici, c'est le royaume des purs et durs. En revanche, on a aimé le moût de pommes pétillant qui, à défaut de Prosecco, donne l'illusion de l'effervescence qui grise. Autrement, on boit du thé à la menthe, des tisanes, du café.

+: Ceci est une réelle et bonne cuisine de sincérité.

-: On aurait aimé un verre de rouge avec ces petits plats pleins de couleurs et de vivacité frétillante, ça nous aurait donné l'impression d'être réellement au resto et pas seulement au café du coin.