L'arrivée au restaurant Karma de Pierrefonds est rien de moins que spectaculaire. Coincé entre un Burger King et un Petro-Canada dans un centre commercial de banlieue, l'édifice démesuré tout blanc se détache du reste comme un chien dans un jeu de quilles. Curieusement, sa façade évoque celle d'un mausolée qui serait destiné à un personnage illustre avec ce côté à la fois solennel et pompeux.

L'intérieur du restaurant est tout aussi imposant, avec un bronze géant d'un Shiva dansant à l'accueil (décoré pour l'occasion de boules de Noël et de branches de sapin!) et les tables installées comme dans un forum, autour d'un bar. L'amplitude de l'espace de type cathédral est bien exploitée et les serveurs se glissent avec précision autour des tables comme dans un ballet. On se croirait dans l'un de ces restaurants indiens chics de Londres ou de Paris.

 

La carte cependant ne se distingue pas beaucoup de ce l'on trouve dans la plupart des endroits du même genre. Contrairement à ce qui se fait dans des restaurants de chef à New York, chez Suvir Saran par exemple, chez Chutney Mary à Londres ou chez Vij's à Vancouver, on ne privilégie pas l'innovation mais la riche cuisine classique du Penjab. Car pratiquement tous les restaurants indiens de la ville servent à peu de choses près exactement le même menu. Aucun cuisinier ou restaurateur ne veut sortir de la routine. Des currys onctueux, lacés de crème et de beurre, des pains cuits au four tandoor, nappés de beurre fondu, des grillades de volailles ou de viandes. Bref, on s'ennuie un peu de la variété. Nous ne nions pas que la cuisine penjabi soit intéressante, tout le contraire. Mais on en trouve partout.

Dans un si beau restaurant, nous aurions souhaité un peu plus de témérité. Et surtout de précision, car la cuisine chez Karma possède des qualités, mais la préparation de certains plats manque de rigueur.

Ainsi, des samosas aux pommes de terre et à la viande, bien épicés, autour d'une pâte croustillante, presque feuilletée, sont impeccables. On les trempe dans des chutneys à la coriandre, au tamarin ou même à l'abricot bien faits et relevés. On vous apporte des papadums bien croquants, ces galettes de pâte de pois chiches, craquants comme des chips. Ça se gâte un peu avec le reste. Le riz pulao, plat d'origine turque, adapté à l'indienne souffre d'un parfum persistant de fermentation, même les épices ne parviennent pas à déguiser ce défaut. Nous n'en prenons qu'une bouchée.

Vient ensuite le poulet awadhi, une appellation peu connue et plutôt vague qui fait référence à la cuisine royale de Lucknow dans le nord de l'Inde. La viande, désossée et marinée dans le yaourt et les épices, a cuit lentement. Sans crier au génie, le résultat est bon (mais pas pour le tour de taille), la sauce riche, crémeuse, nappe complètement le fond de la bouche. L'aloo gobi, un curry de chou-fleur, cuit avec des tomates, des pommes de terre, du cumin, de la coriandre, de la cardamome, est un mariage de goût familier aux amateurs de cette cuisine. On dira la même chose du dal et d'un plat végétarien, le kebab de légumes, sorte de beignet de purée de pommes de terre épicée couvert de lentilles et cuit au four tandoor. Aucun de ces plats n'est mauvais, aucun ne se distingue vraiment ou ne dépasse la moyenne. En finale, quelques spécialités comme les rasmalai crémeux à la pistache ou la glace kulfi à la cardamome, mais aussi... du tiramisu?

KARMA

4720, boulevard Saint-Jean Nord, Pierrefonds, 514-620-1233

> On y retourne: Non. Car malgré l'effort, la volonté de faire différent, on passe à côté. Il manque un chef qui soit réellement capable (et volontaire) pour moderniser un peu cette carte. Et puis, traverser la ville pour manger comme partout ailleurs...

> Prix: Oulah! Des currys de légumes à 15$, de poulet à 20$, ça fait monter la donne... et les attentes! Comptez environ 100$ à deux, avec les taxes et le service mais sans boisson.

> Faune: Pas un seul Indien en salle, ça vous dit quelque chose? Autrement, de tout: scénographie juvénile, tout le monde à l'aise, sortant de la douche, bien pimpant.

> Décor : Admirable dans son luxe grandiloquent de banlieue avec ses bas reliefs en carton pâte et ses luminaires gigantesques.

> Service: Souple, jeune (et décolleté), efficace, s'adapte à tous les genres, à l'aise dans les deux langues (et peut-être trois).

> Vin: pour un restaurant indien, la carte est plutôt correcte et bien bâtie. Dommage que rien de rien n'aille réellement avec la cuisine indienne, qui anesthésie toutes les sortes de vins (sauf peut-être les moelleux, et encore). En revanche, on vous fait le coup de la bière à 7,50$ le verre...

(") L'ambiance raffinée, l'attention aux détails dans le service et l'accueil.

(-) Un choix musical «lounge» un peu envahissant. On dirait que la musique est faite pour la brigade et non pour les clients.