Cuisine humble, cuisine identitaire, cuisine universelle, le repas dans un bol, c'est un peu l'antidote à la complexité et à l'individualisme. Ici, on favorise le groupe et le retour aux sources. Il n'y a rien de plus tendance.

Le nom du repas dans un bol évoque à la fois le contenant et le contenu - tajine, cocotte, marmite, cassolette, chaudrée, potée, touron. Au-delà du terme, c'est aussi et surtout l'une des plus anciennes manières d'apprêter les aliments. Tous les ingrédients, cuits ensemble à feu très doux, sont présentés à table dans un seul bol.

Dès que les hommes ont découvert le feu, ils ont commencé à cuisiner, à transformer «la nature en culture», disait Lévi-Strauss. Il n'y a donc pas un lieu où ne se pratique la cuisine dans un bol, de l'Afrique australe à l'Asie du Nord, de la Corée à la Nouvelle-Zélande, sous forme de ragoût, de potage, de pot-au-feu ou de mijoté, car les cuisines du monde ne se sont jamais dissociées de cette technique, la plus ancienne qui soit et la plus rassurante. Les composantes? Tout ce qu'il y a au garde-manger (ou dans la basse-cour, c'est selon), pourvu que ce soit cuit à très basse température pendant des heures. Cuisines de nos grands-mères, dites-vous?

À la base de ces plats-emblèmes, car ils incarnent presque toujours la totalité d'une culture, d'une langue ou d'une nation, il y a le liquide, l'eau ou le vin, qui, une fois cuit et infusé des ingrédients du pot, devient ce jus primordial qui contient toutes les vertus des composantes. Parfois, on les a séparées après la cuisson pour les rassembler sur la table: le bouillon d'abord, puis comme c'est ce cas avec le pot-au-feu français, les viandes ensuite. C'est aussi ce que font les Espagnols au moment de servir le cocido: viande, légumes et bouillon constituent souvent des suites de plats plutôt qu'un seul service. Ailleurs dans le monde, au Maroc par exemple, les composantes sont souvent ajoutées les unes après les autres, puis tout est servi dans un seul plat que tout le monde partage.

Histoire de célébrer le repas dans un bol, La Presse vous présente des recettes qui vous feront faire le tour de la Méditerranée en cinq plats emblématiques d'autant de régions.

 

Caldo di pesce d'Amalfi

La distinction entre la soupe, le potage, le pot-au-feu et le ragoût n'est pas toujours très claire. Du moins en cuisine méditerranéenne. En voici un bel exemple avec cette soupe du sud de l'Italie dans laquelle les protéines animales s'imposent davantage que le liquide.

Pour 4 à 6 personnes

Ingrédients

4 c. à soupe d'huile d'olive extravierge

1 branche de céleri émincée

4 gousses d'ail hachées finement

1 oignon haché finement

1 c. à soupe de piment rouge sec, émietté

2 tasses de sauce tomate (ou de passato: du coulis de tomate acheté dans le commerce)

2 tasses de vin blanc

1 tasse de tomates fraîches hachées

8 grosses crevettes

1/2 tasse de petits pétoncles

8 moules bien nettoyées (attention: jetez les moules qui se seraient ouvertes avant la cuisson)

4 petits poissons à chair blanche entiers ou deux grosses darnes de poisson blanc (bar, flétan ou morue)

Garniture

4 tranches de pain de campagne, épaisses et grillées

1 gousse d'ail

Persil frais ciselé, marjolaine ou origan frais ciselés

Préparation

Dans un large faitout ou une grande casserole, faites chauffer l'huile d'olive sur feu moyen. Ajoutez les oignons, le céleri et l'ail et laissez rissoler doucement pendant 5-6 minutes ou jusqu'à ce que les légumes soient transparents. Ajoutez la poudre de piment et mouillez ensuite avec la sauce tomate ou le passato et le vin blanc. Remuez, ajoutez les tomates et laissez reprendre l'ébullition, puis laissez mijoter quelques instants avant de réduire le feu.

Déposez délicatement les poissons, les crevettes, les moules et les pétoncles. Laissez cuire à couvert pendant environ 5-6 minutes. Goûter la sauce pour ajuster l'assaisonnement (la sauce tomate devrait être déjà salée).

Pendant que la soupe mijote, frottez le pain grillé avec une gousse d'ail et déposez au fond d'un bol. Ajoutez les poissons, puis un peu de jus de cuisson sur le dessus. Nappez d'un trait d'huile d'olive de très bonne qualité. Saupoudrez de persil et d'herbes fraîches hachées.

Photo: François Roy, La Presse

Caldo di pesce d'Amalfi

Garbure

Dans le sud-ouest de la France, la garbure, c'est un peu le jardin du Sud mis au fond d'un bol. Il y a autant de variantes en Gascogne, vous vous en doutez, qu'il y a de villages et peut-être même de cuisinières! Les éléments de base, le chou et l'ajout du confit de canard juste avant la fin de la cuisson sont des constantes néanmoins assez tenaces. Voici une version simple mais parfaitement authentique de la garbure.

Pour 4 à 6 personnes

Ingrédients

1 morceau de lard salé d'environ 250, 300g coupé en petits dés

2 poireaux émincés

2 navets, 2 carottes, 2 oignons, émincés

4 gousses d'ail écrasées

150 g de haricots blancs (en boîte)

1 bouquet garni (persil, thym, laurier, etc.)

4 pommes de terre pelées et coupées en tranches

1 morceau de chou, émincé à la mandoline ou finement au couteau

2 cuisses de canard confites

Sel marin et poivre en grains

Préparation

Mettez le lard dans une casserole remplie d'eau, amenez à ébullition et écumez avant de rincer. Remettez le lard dans la casserole, remplissez d'eau fraîche et amenez à ébullition une seconde fois, avec les poireaux, les navets, les carottes, les oignons, le bouquet garni et les grains de poivre. Salez. Baissez le feu et faites cuire doucement pendant environ 1h. Si vous utilisez des haricots secs (préalablement trempés 12h dans de l'eau non salée), ajoutez-les au début de la cuisson. Si vous utilisez des haricots en conserve, ne les ajoutez qu'environ 15 minutes avant le service.

Pendant ce temps, préparez les pommes de terre et le chou. Ajoutez la seconde série de légumes après une première cuisson. Laissez mijoter encore 45 minutes en vérifiant la cuisson. Ajoutez le confit de canard une dizaine de minutes avant de servir. Assurez-vous de bien ajuster l'assaisonnement et servez la garbure dans une assiette creuse en mettant les légumes d'abord, le confit ensuite, puis nappez de bouillon, mais pas trop. Il ne faut pas que ce soit comme une soupe ordinaire mais bien comme une soupe-repas.

Photo: François Roy, La Presse

Garbure

Tajine crémeux de poulet aux olives et aux citrons confits

Ce plat classique de la cuisine marocaine existe dans des centaines de variantes. C'est souvent le premier plat que l'on apprend à faire là-bas, et c'est celui qui laisse les meilleurs souvenirs. Dans cette version, on ajoute un oeuf battu quelques minutes avant de servir, histoire de donner un peu de corps à la sauce, servie assez liquide. On sert toujours un tajine avec du pain frais. Si vous voulez vraiment faire comme au Maroc, servez directement dans un tajine de service dans lequel les convives tremperont leur pain.

Pour 4 à 6 personnes

Ingrédients

2 poulets entiers coupés en morceaux (ou des morceaux totalisant environ 150 g de viande par personne)

2 bouquets de persil

1 bouquet de coriandre (facultatif)

3 gousses d'ail, émincées

3/4 de tasse d'oignon râpé ou passé au robot

1/2 c. à thé de gingembre en poudre

1/2 c. à soupe de cumin

1/2 c. à soupe de pimentón ou de paprika

1/2 c. à thé de curcuma en poudre

3 petits bâtons de cannelle

Huile d'olive extravierge

2 citrons confits

Une vingtaine d'olives vertes, dénoyautées ou non

Le jus d'un demi-citron

3 ou 4 oeufs

Préparation

Dans une marmite ou dans une mijoteuse électrique, déposez les morceaux de poulet, ajoutez un bouquet de persil entier et la moitié de la coriandre, l'ail et l'oignon, les épices et une bon trait d'huile d'olive extravierge (ou quelques noix de beurre). Mouillez avec deux tasses d'eau. Couvrez et amenez lentement à ébullition. Réduisez ensuite le feu jusqu'à ce que le mélange mijote doucement. Laissez cuire pendant 60 à 90 minutes. Si vous utilisez une mijoteuse électrique, laissez cuire à feu élevé pendant 3h au minimum.

À la fin de la cuisson, la chair de la volaille devrait se défaire de l'os. Retirez la viande de la marmite et mettez dans un tajine ou dans un plat et réservez. Faites réduire le liquide afin d'obtenir environ 2 tasses de sauce. Versez sur le poulet, ajoutez les olives.

Battez les oeufs avec ce qui reste de persil et de coriandre, hachés finement. Retirez la pulpe du citron confit et passez au robot afin d'obtenir une purée, puis coupez la peau en tranches ou en lanières. Ajoutez cette pulpe et la peau des citrons au mélange d'oeufs et versez sur le poulet. Couvrez la marmite avec du papier d'aluminium et mettez au four à 350°F pendant environ 20 minutes.

Retirez du four, découvrez et versez le jus de citron sur le poulet. Présentez dans un tajine de service et servez avec un bon pain marocain bien frais.

Photo: François Roy, La Presse

Tajine crémeux de poulet aux olives et aux citrons confits

Cocido madrileño

Il n'y a qu'un seul plat véritablement national en Espagne, et c'est celui-ci. Une sorte de pot-au-feu suivant le principe du repas dans un bol qui cuit toute une journée sur un feu de bois. Il se décline dans toutes les provinces espagnoles, selon les ingrédients et les assaisonnements locaux. Voici la version de la capitale, dans laquelle on sépare les viandes et le bouillon au moment du service, un peu à la manière du pot-au-feu français. Le bouillon y est servi en entrée, parfois même aromatisé d'une goutte de xérès! On sert aussi le cocido avec des haricots verts, cuits à l'eau juste avant de les ajouter au plat.

Pour 6 à 8 personnes

Ingrédients

1 boîte de pois chiches

450 g de palette de boeuf

250 g de lard salé avec un peu de viande ou un morceau de poitrine de porc

2 ou 3 cuisses de poulet

Sel marin

1 ou 2 os à moelle

1 tête d'ail entière

2 ou 3 feuilles de laurier

1 c. à soupe de grains de poivre noir

1 oignon entier, piqué de deux clous de girofle

6 ou 7 carottes

2 poireaux

1/2 chou (facultatif)

450 g de pommes de terre pelées et coupées en quatre

2 saucisses fumées

1 morceau de chorizo (saucisson sec espagnol ou portugais)

1 boudin noir

Xérès sec (fino ou manzanilla)

Préparation

Si vous utilisez du lard salé, laissez tremper une nuit au frigo dans une bonne quantité d'eau ou faites blanchir dans une casserole et jetez l'eau de cuisson. Au fond d'une marmite ou d'une mijoteuse électrique, déposez toutes les viandes, l'ail, les aromates et enfin le poulet. Mouillez avec 3 litres d'eau et amenez à lente ébullition en écumant de temps à autre. Laissez cuire de 60 à 90 minutes (ou de 2 à 3h à la mijoteuse électrique). Si vous utilisez des pois chiches secs préalablement trempés, ajoutez-les dès le début de la cuisson. Sinon, ajoutez-les une demi-heure avant la fin de la cuisson.

Au bout de ce temps, ajoutez l'oignon aux viandes. Dans une casserole séparée, faites cuire les légumes avec les saucisses et le boudin et une bonne quantité d'eau jusqu'à ce que les pommes de terre soient cuites (disons 20-25 minutes). Retirez du feu, égouttez et déposez les légumes dans une grande assiette. Coupez les saucisses en tranches et ajoutez dans l'assiette. Égouttez les viandes et les pois chiches en conservant le liquide. Déposez les viandes autour des légumes. Mettez le bouillon dans une saucière et ajoutez un peu de xérès sec. Servez autour du plat de viande.

NOTE: Vous pouvez aussi servir ce plat en bol individuel, laissez cependant les convives se servir du bouillon.

Il est de coutume de présenter une ou deux assiettes de marinades - oignons au vinaigre, légumes en jardinière ou à la grecque, cornichons et même une vinaigrette faite de tomates fraîches mondées et salées, de vinaigre et d'un peu de cumin en poudre.

Photo: François Roy, La Presse

Cocido madrileño

Stifatho

Le mot signifie «ragoût aux oignons» en grec. Et c'est exactement ce qu'est le stifatho, un plat en sauce, dense et riche, fait de boeuf ou de veau, souvent de lapin. Toutes les variantes ont en commun une longue cuisson (qui se fait très bien à la mijoteuse), un petit goût sucré-salé et des notes qu'apportent le vinaigre, la cannelle et parfois - c'est le cas ici - les raisins secs aux oignons. C'est un plat exceptionnel, que l'on peut manger tout seul ou avec une purée de pommes de terre, simplement accompagné de pain bien frais, et précédé d'une salade (de haricots, de pois chiches ou de tomates quand elles sont en saison). Voici une version que j'ai appris à faire dans l'île de Corfou.

Pour 4 à 6 personnes

Ingrédients

1/2 tasse d'huile d'olive extravierge

1 kg de palette de boeuf

3 c. à soupe de vinaigre de vin rouge de bonne qualité

1/2 tasse de vin rouge

1 ou 2 c. à thé de sucre

1 ou 2 c. à soupe de raisins secs

3 gousses d'ail émincées

1 ou 2 feuilles de laurier

1 branche de romarin

1 bâton de cannelle

5 ou 6 clous de girofle

5 ou 6 piments de la Jamaïque

1 kg de petits oignons (à marinade) ou d'oignons moyens

1 tasse de tomates épépinées et coupées grossièrement (ou en boîte)

Sel, poivre

Préparation

Faites chauffer la moitié de l'huile d'olive dans une grande marmite puis faites brunir la viande sur toutes ses faces, pendant de 8 à 10 minutes environ au total. Mouillez ensuite avec le vinaigre et le vin et laissez réduire à feu moyen pendant 3 ou 4 minutes.

Ajoutez le sucre, les raisins secs, l'ail, une pincée de piment de Cayenne ou de poudre de piment fort, l'ail, le laurier, les épices et les herbes aromatiques. Salez et poivrez généreusement. Ajoutez les tomates, puis mouillez avec de l'eau (environ 1 tasse) jusqu'à ce que la viande soit presque entièrement recouverte de liquide. Amenez à ébullition, puis baissez le feu et couvrez.

Dans un poêlon, faites rissoler les oignons entiers pendant quelques minutes, pour les faire colorer un peu. Ajoutez à la marmite et laissez cuire doucement pendant 2 ou 3 heures. Si vous utilisez une mijoteuse électrique, vous devez tout de même faire sauter la viande et ensuite les oignons avant d'assembler le tout et de laisser cuire pendant 4 heures.

Photo: François Roy, La Presse

Stifatho