Récession et zeitgeist obligent, la tendance du moment en gastronomie n'a rien de compliqué ni de cher. C'est la réinvention des choses simples de façon hyper créative: du raifort qui devient une sauce diaphane, un morceau de porc bon marché qui devient plus succulent que n'importe quel filet, des Corn Flakes qui infusent une panna cotta...

La tendance du moment, donc, c'est la cuisine de David Chang, celui que Epicurious.com, le grand site web gastronomique de Condé Nast, identifie comme LE chef de l'année 2009.

 

«Il faut juste redécouvrir les choses que l'on a, qu'on tient pour acquises. Le riz par exemple», a récemment expliqué le jeune grand chef au cours d'une interview à Montréal. Chang fait de cette graminée autant des gâteaux collants que des sandwichs fabuleux. «Il faut seulement prendre le temps de regarder ce que l'on a de plus près.»

Chang, pour le plus grand plaisir de ses disciples - dont je fais énergiquement partie - vient de lancer son premier ouvrage, Momofuku (Clarkson Potter), un mélange de récits et de recettes rédigé par le journaliste Peter Meehan.

Ce livre illustré est rapidement devenu celui de ma bibliothèque que j'utilise le plus - il est déjà tout sale, d'ailleurs. En fait, pour dire vrai, depuis que j'ai mis la main sur un exemplaire à la librairie Appetite For Books où Chang était de passage il y a deux semaines, l'envie de cuisiner me tenaille tous les jours.

Je rêve de brioches asiatiques au ventre de porc, de hamachi mariné, de ramen et autres choux de Bruxelles à la sauce vietnamienne. Faute de pouvoir aller à New York à tout bout de champ pour me régaler dans son Noodle Bar ou son Ssäm Bar, je fais les recettes les unes après les autres. Et ça marche.

Il y a longtemps que je n'avais pas fait autant de découvertes en si peu de pages, longtemps que je n'avais pas pris la peine d'aller dans des épiceries coréennes et japonaises, me renseigner sur certains ingrédients et découvrir l'existence de toutes sortes de produits que je ne connaissais pas.

Ce n'est pas un livre, que ce Momofuku. C'est un voyage dans un nouvel univers de saveurs et dans notre propre ville.

David Chang, 34 ans, est un chef new-yorkais d'origine coréenne, mais né aux États-Unis, et qui a vécu longtemps en Asie - en Corée et au Japon, notamment.

Il a cinq restaurants à New York, dont quatre sont dans le East Village. Même s'il fait partie des chefs les plus cotés de la planète (le Ssäm Bar est sur la liste des 50 meilleurs restaurants au monde, selon le prestigieux magazine Restaurant), ses établissements sont tous abordables (75$ pour deux au Ssäm Bar, il y a 15 jours). Et il aime tellement Montréal qu'il promet que si, un jour, il ouvre un resto à l'extérieur des États-Unis, ce sera dans notre ville.

D'ailleurs, si vous voulez comprendre un peu le personnage, dites-vous qu'il est très copain avec David McMillan, le chef proprio du restaurant Joe Beef, lui-même ami de Martin Picard du Pied de cochon. Prenez la truculence en cuisine de ces deux géants québécois et mettez le tout dans un cadre américano-asiatique et vous aurez le début d'une idée de qui est Chang. Pour le reste, pensez queue de porc marinée, biscuits au compost, ventre de porc à toutes les sauces, saucisses piquantes aux gâteaux de riz, poulets frits en entier et tête de porc au torchon, à la moutarde japonaise et au vinaigre de riz.

«Oublions l'authenticité, allons-y pour la délicieuseté (deliciousness)», s'est dit Chang, à ses débuts, le jour où son comptable lui a annoncé qu'il était à un mois de la faillite. C'est ainsi que s'est amorcé le revirement qui l'a mené où il est.

Bien que fortement inspirée des principes chinois, coréens, japonais et vietnamiens (il faut essayer la recette de pâté pour les banh-mi, les sandwichs vietnamiens!), sa cuisine dépasse les limites permises par les traditions rigoureuses. Peu importe. Tout est parfaitement savoureux et c'est ce qui compte.

Avec lui, même la panna cotta au lait de céréales (le lait qui reste au fond du bol après avoir mangé des Corn Flakes!) avec mousse à l'avocat et flocons de maïs caramélisés est un dessert divin.

Étrange, mais délicieux.

À découvrir.

HAMACHI MARINÉ À LA PURÉE D'EDAMAME

(recette tirée de Momofuku de David Chang)

Le hamachi, sériole en français (yellowtail kingfish) est difficile à trouver, mais il y en a à La Mer, à Montréal. Selon les organismes de surveillance de la pêche, le plus écologiquement correct est le hamachi d'élevage américain, provenant de Hawaii (l'australien et le japonais sont à éviter). On peut faire cette recette avec d'autres poissons à chair blanche de qualité sushi, notamment l'omble chevalier. Pour les ingrédients japonais, on peut aller chez Miyamoto, 382, rue Victoria, à Westmount.

Ingrédients

Le poisson

1 c. à thé comble de grains de poivre de Sichouan

1 c. à thé comble de graines de coriandre

3 c. à table de sel casher

2 1/2 c. à table de sucre

250 g de filet de sériole (hamachi) ou autre poisson à chair blanche de qualité sushi

Pour la purée

1/2 tasse et 2 c. à table de grains d'edamame écossés (on les trouve facilement, congelés)

1/2 c. à thé de sel

1/2 c. à thé de sucre

1 c. à thé de sauce soja

1/2 tasse de raifort pelé frais, haché (ou 1 c. à thé de wasabi)

1/2 tasse d'eau (à ajuster)

La garniture

4 c. à thé de wakame chazuke furikake (Ce sont des algues assaisonnées, séchées, hachées. Demandez à votre épicier japonais ou coréen, il saura les trouver.)

Préparation

1. Écraser coriandre, poivre de Sichouan, sucre et sel ensemble au mortier. Mettre le tout dans un sac plastique refermable (de type Ziploc) avec le poisson. Secouer pour que les épices enrobent le poisson. Laisser reposer au frigidaire pendant 2 ou 3 trois heures maximum.

2. Retirer le poisson du sac (sa texture devrait être un peu plus ferme). Gratter pour enlever les épices. Trancher en fins morceaux. Réserver.

3. Faites bouillir une casserole d'eau et préparer un bain de glaçons et d'eau froide dans un saladier. Plonger les grains d'edamame dans l'eau bouillante. Laisser blanchir 30 secondes puis plonger dans l'eau glacée. Égoutter. Réserver quelques grains pour la décoration des assiettes.

4. Dans un robot culinaire, broyer les grains d'edamame et les autres ingrédients de la purée. Ne pas mettre toute l'eau d'un coup. Ajuster pour obtenir une belle purée lisse, qu'on pourra rendre encore plus crémeuse, si on veut, en la passant au tamis. Ajuster l'assaisonnement aussi, si nécessaire.

5. Tartiner la purée au fond des assiettes, déposer les morceaux de poisson par-dessus. Décorer avec le furikake et les grains d'edamame réservés.

6. Déguster, en prenant de tout dans chaque bouchée.