La gastronomie philippine fait pâle figure à côté de ses voisines asiatiques. Mais un cuistot passionné s'est donné pour mission de révéler les trésors culinaires de son pays, à l'opposé de la restauration rapide, héritage de l'ancienne puissance coloniale américaine.

Pour Claude Tayag, un Philippin de 55 ans, la cuisine de son archipel est «incomprise». Malgré l'immigration importante, peu de restaurants dans le monde servent des plats philippins, alors que les saveurs des cuisines indienne, chinoise, vietnamienne, thaïlandaise ou japonaise se sont exportées partout.

Penché au-dessus d'une marmite dans laquelle mijote un adobo, un plat traditionnel philippin où la viande cuit dans une sauce composée de vinaigre, sauce soja et ail, le chef s'extasie sur la palette infinie de la gastronomie locale.

«On ne peut pas la décrire en une seule phrase. Il faudrait une journée, et même un mois entier» pour l'approcher, déclare-t-il.

Artiste et écrivain en plus d'être cuisinier, l'homme a transformé sa maison à Angeles City, à deux heures de route au nord de Manille, en table d'hôte.

Il faut réserver des semaines à l'avance pour dîner à sa table et connaître ainsi une expérience culinaire unique: trois heures à déguster une dizaine de plats issus du patrimoine gastronomique de l'archipel, assortis des explications précises et enthousiastes du chef et de sa femme.

Défilent sur la table des amuse-bouche à base de riz fermenté ou de crabe, un pesto de noix de pili, fruit sec local. Poulet mariné à la citronnelle et au citron local - le calamansi - avant d'être grillé. Bien évidemment l'adobo.

En dessert, la version philippine de la crème brûlée, réalisée avec du lait de bufflonne, plus riche et plus crémeux que le lait de vache.

En boisson, du thé glacé parfumé au miel, gingembre, citronnelle et jus de calamansi.

Le point d'orgue du repas est la préparation - et la dégustation - du sisig, un autre plat typiquement philippin: des oreilles et des joues de porc finement hachées, cuites avec du foie de poulet, de l'extrait de calamansi, des oignons et du piment.

«Nous perdons nos traditions»

Le succès de son restaurant illustre l'essor, quoique fragile, de la culture gastronomique dans l'archipel. «Dans chaque grande région du pays, il y a des gens comme nous, qui travaillent à la conservation et la reconnaissance de la cuisine mitonnée», assure Claude Tayag.

«On peut parler de redécouverte de la cuisine philippine. Ça arrive lentement, avec l'apparition de restaurants gastronomiques à Manille, de chaînes câblées de la télévision dédiées au tourisme et d'émissions de cuisine. Sans oublier les blogues» des passionnés, ajoute-t-il.

Il y a 15 ans, les grands restaurants du pays, peu nombreux, ne proposaient quasiment pas de plats typiquement philippins, mais la situation évolue, notamment grâce à l'émergence de la classe moyenne dans ce pays qui reste cependant pauvre par rapport à d'autres économies asiatiques.

Mais Claude Tayag reconnaît que le poulet frit et les hamburgers gras restent le repas de fête de la très grande majorité des quelque 100 millions de Philippins, lorsqu'ils vont dîner dehors.

Cette cuisine grasse et bon marché est un héritage de l'ancienne puissance coloniale, les États-Unis (jusqu'en 1946), et répond aux faibles revenus de l'immense majorité des familles.

«On doit créer une prise de conscience. Nous perdons nos traditions, avec l'expansion des fast-food, des centres commerciaux et de tout ça... Vous savez, le mode de vie américain», estime le chef, qui a écrit trois livres sur la cuisine de son pays.

«On dit toujours que la cuisine philippine n'est pas reconnue au niveau international, au contraire de celles de nos voisins. C'est juste qu'elle n'est pas bien comprise», selon lui.

Les plats philippins n'ont pas la saveur intense des préparations indiennes ou thaïlandaises. «Nos parfums sont plus nuancés. Ils se promènent entre le sucré, l'aigre, le salé et l'acide», précise Claude Tayag.