En France, au coeur des Alpilles, des agriculteurs de Provence se battent pour continuer à produire du «fruité noir», l'huile d'olive traditionnelle menacée selon ses défenseurs par une standardisation du goût.

«On a failli le faire disparaître, comme le rosé ou les fromages au lait cru», s'insurge l'un d'eux, Olivier d'Auge, également producteur d'un vin reconnu. «Avant les années 1960, toute l'huile d'olive était du fruité noir, maintenant c'est à 90% du fruité vert».

«Le fruité vert est un goût moderne, citadin, contemporain. Le fruité noir est un goût de toujours, rural, qui a participé à l'élaboration de la gastronomie française», dit-il. Puriste inventif, il assemble l'olive Aglandau, Picholine, Salonenque et Grossane mais aussi Amygdalolia ou Manzanille pour une huile douce aux arômes de «tabac blond, sous-bois, olive confite noire, fruits à coque».

Le «fruité noir» est produit avec des olives maturées, conservées plusieurs jours à l'abri de l'air entre cueillette et pression comme l'impose la cadence lente des moulins traditionnels.

M. d'Auge vitupère les broyeurs à marteaux et centrifugeuses qui ont remplacé presque partout meules de pierre et scourtins -- disques en fibre végétale utilisés pour presser les olives. Il accuse les groupes agro-alimentaires dominant la filière de l'«or vert» d'avoir uniformisé le goût pour imposer un produit industrialisable.

Leur poids à Bruxelles l'inquiète, avec une réglementation de plus en plus contraignante centrée sur le fruité vert, tandis que le fruité noir se trouve techniquement exclu de l'appellation «huile d'olive vierge extra» réservée aux jus de fruits frais.

Trois AOC l'ont finalement intégré --Provence, Aix-en-Provence et Les Baux-de-Provence-- mais en limitant la durée de maturation. «La filière s'est fait plaisir avec les AOC, mieux aurait valu mettre en place la commercialisation» alors que 95% de l'huile consommée en France est importée, à des prix trois fois inférieurs à la production locale, dit Olivier d'Auge.

Il a trouvé un allié au même prénom prédestiné: Olivier Baussan, fondateur des cosmétiques L'Occitane et d'un Ecomusée de l'Olivier à Volx (Alpes-de-Haute-Provence), avec une marque qui diffuse les huiles de 34 petits producteurs provençaux.

On y trouve des fruités verts ou mûrs d'olives ramassées tardivement, et le fruité noir d'Auge ou de l'abbaye du Barroux. «Je veux défendre la culture de l'olivier et toutes ses traditions», dit M. Baussan. Il évoque le fruité noir de son enfance («sous-bois, fève de cacao, champignon»), celui du Moulin de Lurs fréquenté par Giono. Il l'a offert à des amis parisiens... qui n'ont guère apprécié: «l'huile d'olive italienne a fabriqué le palais».

«Les Italiens produisaient les chaînes de fabrication en continu et ont été les promoteurs du fruité vert qui surfait sur le côté santé», avec des études comme celle sur le régime crétois, explique Françoise Pouget, experte dégustatrice au Conseil oléicole international et «catador» (équivalent d'oenologue pour l'huile d'olive).

«Aujourd'hui, il y a un renouveau du fruité noir qui avait été diabolisé» mais reste consommé en France ou au Maghreb, souligne-t-elle.

Les chaînes modernes peuvent aussi produire du bon fruité noir, assure Christian Pinatel à l'Afidol (Association française interprofessionnelle de l'olivier). «Il y a eu une guerre de religion mais maintenant ceux qui font du fruité noir peuvent le revendiquer fièrement».