Certaines ressources alimentaires sont menacées d'extinction. Pour d'autres, il est déjà trop tard. Elles ont disparu, parce que la planète se réchauffe, parce que la forêt a été transformée en mine, ou simplement parce que la petite communauté qui mangeait ceci ou cela a préféré se tourner vers de la nourriture industrielle, signe de modernité. Au bout du compte, la planète a perdu 75% de sa diversité génétique en alimentation depuis 100 ans, estime la branche alimentaire des Nations unies, la FAO, qui a mené une importante étude à ce sujet avec des chercheurs de l'Université McGill.

«Nous voulions étudier douze communautés indigènes (sur cinq continents) et mesurer leur accès à une alimentation variée», explique Harriet Kuhnlein, professeure au Centre pour la nutrition et l'environnement des populations indigènes de McGill.

 

Les conclusions sont sans équivoque et surprenantes: lorsque vient l'heure du repas, ces communautés reculées ont accès à une bien plus importante biodiversité que les urbains que nous sommes. Les groupes qui cueillent encore travaillent parfois avec des fruits tropicaux multicolores et difformes qui feraient rêver ici les adeptes du mouvement Slow Food. Notre alimentation moderne repose essentiellement sur quatre cultures, le blé, le riz, le soya et le maïs, notent les chercheurs de la FAO. Une petite communauté thaïlandaise d'à peine plus de 600 âmes cuisine avec 387 espèces alimentaires, dont 62 fruits différents. Des Inuits canadiens chassent 79 espèces animales.

Cette richesse est toutefois en train de s'appauvrir, rapidement, a constaté le groupe de recherche. Les grands jardins de plusieurs communautés sont diminués par des projets industriels. Un groupe de la Thaïlande s'est même trouvé dans la situation absurde où son environnement immédiat a été déclaré parc national. Et donc protégé. «Ils ne peuvent plus cueillir!» dit la professeure Kuhnlein.

Les peuples aborigènes délaissent aussi d'eux-mêmes leur alimentation traditionnelle lorsqu'ils ont accès à de nouveaux produits, peu chers, pratiques, mais souvent pauvres en valeur nutritive. «La nourriture traditionnelle est graduellement remplacée par la nourriture industrielle», explique la scientifique.

Il y a deux drames dans les conclusions de cette enquête. D'abord, des espèces sont à jamais rayées de la carte. L'autre drame est qu'il y a un lien direct entre la perte de biodiversité et la maladie. La nourriture traditionnelle, non transformée, est très nutritive. Plus un peuple la délaisse, plus il y a d'obésité dans le groupe.

Mais il y a de l'espoir. Parmi les communautés à l'étude, les Inuits de l'île de Baffin ont décidé de réintégrer dans leur alimentation des ingrédients traditionnels, après les avoir boudés durant plusieurs années au profit de pizzas et d'autres délices surgelés. Ils tirent aujourd'hui plus de 40% de leurs calories quotidiennes d'une alimentation traditionnelle, alors que la proportion était de 31% il y a 10 ans.