Tout l'été, La Presse donne la parole à ceux qui réinventent notre terroir. Des gens qui ont pris de sérieux risques pour se lancer dans des cultures moins populaires ou qui ont décidé de faire les choses différemment. Ils créent maintenant dans leurs champs, leurs fermes, leurs brasseries, leurs fromageries, des produits qui se trouveront bientôt sur votre table. Chaque samedi, découvrez ces gens d'avant-goût.

Voici l'histoire unique d'un ambitieux producteur laitier du Lac-Saint-Jean qui veut mettre en valeur la culture de cerises et d'autres petits fruits au Québec. Pour mener cet audacieux projet à terme, Jean Gaudreault a converti une étable en véritable laboratoire scientifique.

 

De l'extérieur, presque rien n'y paraît, si ce n'est cette pancarte «Végétolab» qui confirme que les vaches ont bel et bien cédé leurs places aux éprouvettes. À l'intérieur, le coup d'oeil est étonnant.

En plus des cerises, l'équipe travaille sur l'amélanchier, cette plante indigène qui donne des petites baies rougeâtres, et le chèvrefeuille comestible, mieux connu ici sous l'appellation camerise. Un croisement de cultivars russe et japonais. Le fruit est un parent du bleuet, sauf qu'il est plus gros et plus long. Pas si joli, en fait. Mais un fruit différent et intrigant, comme les consommateurs en demandent.

Or, on ne se lance pas dans une telle aventure pour l'originalité d'un bleuet difforme. «Je crois vraiment que la camerise sera le prochain petit fruit du Canada», explique Jean Gaudreault, rencontré à Alma, où se trouvent sa ferme et son laboratoire de culture in vitro.

Avant de convaincre les consommateurs d'étendre de la confiture de camerises sur leurs rôties, il y a encore du chemin à faire.

Jean Gaudreault a même dû mettre ses vaches en garantie à la banque pour poursuivre ses activités maraîchères. L'entreprise commence à peine à décoller, après deux années de recherches et développement pas toujours faciles. «Je crois que j'ai un peu le goût du risque...» dit-il.

Pourquoi tant de risque? Les petits fruits sont très, très en demande depuis les six ou sept dernières années, depuis que l'on s'intéresse autant à leurs valeurs nutritives qu'à leur goût. Au Lac-Saint-Jean, les producteurs et transformateurs de bleuets ont formé de précieux partenariats d'affaires avec le Japon, marché avide de nutraceutiques et de nouveautés alimentaires.

Autre avantage pour la camerise: sa période de récolte. Quelques producteurs ont déjà planté des arbustes et on s'attend à pouvoir cueillir les fruits dès la semaine prochaine. Pour les bleuets, il faut attendre à la fin du mois de juillet. Ce qui permet aux producteurs d'allonger leur saison et aux transformateurs qui congèlent les fruits d'étirer la période de travail. Si on ajoutait des cerises et des amélanchiers, on aurait du travail durant toute une saison!

D'autres producteurs du Québec, dans le Bas-du-Fleuve notamment, s'intéressent aussi à la camerise. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les petits fruits nordiques soulèvent un intérêt particulier. «Il y a vraiment un engouement ici», confirme Françoise Rodrigue, agronome au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation pour la région. «Il y a beaucoup de terres en friche ou de producteurs laitiers qui ont délaissé une partie de leurs terres sur lesquelles on pourrait planter des arbustes. Les petits fruits sont une culture rentable.»

En 2006, une délégation du Lac s'était rendue en Saskatchewan, là où la culture de la camerise est plus avancée. Des producteurs étaient du voyage. «Lorsque nous avons goûté au fruit, nous nous sommes dit que ça pouvait bien marcher aussi au Québec, se rappelle Françoise Rodrigue. C'est un peu un mélange de bleuet, de cassis, de mûre et de rhubarbe, au goût.»

Pour l'instant, tout semble indiquer que les arbustes résistent bien au climat québécois. Les gens du MAPAQ comptent quand même attendre un peu avant de se lancer dans la promotion du petit fruit ici. Attendre qu'il y en ait assez pour qu'on puisse en vendre pour la peine. Avec le regain d'intérêt pour les petits fruits tels le cassis, le sureau ou la chicouté, la voie de la camerise est toute tracée, croient-ils. «On compte bien mousser la camerise aussi au Québec, précise Françoise Rodrigue. Les gens préfèrent manger des fruits d'ici, c'est parfait pour lancer un nouveau fruit sur le marché.» Tant mieux. Car quelques vaches du Lac ont mis leurs têtes en garantie du succès de la camerise...