Faire du (bon) pain à la maison, ça peut être très simple ou... très compliqué! De plus en plus de boulangers amateurs choisissent la version longue pour produire des miches dignes des meilleures boulangeries. Nous avons rencontré quelques-uns de ces «geeks du pain» pour savoir ce qui motivait leur quête de la croûte parfaite.

Cynthia est née à Fez, au Maroc. Elle a beaucoup voyagé, grâce à ses parents gastronomes et bourlingueurs: la sommelière Laura Vidal et le chef Harry Cummings. D'un pays à l'autre, on la nourrissait avec les bonnes céréales de producteurs locaux. Elle a traversé les douanes d'innombrables fois, dans une petite bouteille de shampoing. Cynthia est... un levain!

«Nous lui avons donné ce nom parce que c'était celui que portait la grand-mère de Harry, morte il y a quelques années. Cynthia était une grande voyageuse», raconte Laura Vidal, une Québécoise qui vit sa passion du vin en France et ailleurs depuis plusieurs années.

Pourquoi nommer son levain? Parce que dans les premières semaines de sa vie, il demande beaucoup de soins. Il faut le nourrir, l'observer, s'assurer qu'il soit bien au chaud, que son eau ne soit pas trop chlorée, etc. Après tout ça, aussi bien le baptiser.

La famille Perrot (mère et filles) a un petit Parenteau («Ma plus grande adore le hockey», explique maman Erica). Chez Carl Villeneuve-Lepage, on élève un jeune Victor. Levain Poirier, pour sa part, a vu le jour il y a environ deux ans dans l'appartement de La Petite-Patrie où Pierre-Alexandre Poirier habite avec sa douce. Il a même un petit frère, Levain Sarrasin.

Faire son levain

Un levain, c'est simple à partir - le premier de l'humanité est sans doute né par accident - , mais il faut un minimum de discipline. On commence par mélanger des parts égales d'eau et de farine (disons 100 g chacune), avec le doigt SVP, pour aider l'activité bactérienne à démarrer. Puis on laisse à température ambiante pendant deux ou trois jours. La «bête» commencera à gonfler et à faire des bulles.

Il faut alors la nourrir quotidiennement, toujours à la même heure: on jette 80 % du mélange, puis on ajoute de l'eau tiède et de la farine. À un moment donné, le levain gonflera et retombera de manière prévisible et dégagera des arômes un peu suris. Ce phénomène se produit normalement après deux à trois semaines. Il est alors possible de commencer à faire du pain. Après, il suffit d'entretenir son levain en le nourrissant régulièrement si on fait souvent du pain ou en le laissant «dormir» au réfrigérateur.

Comme les chefs avec leurs recettes, les boulangers peuvent être très possessifs ou partager avec joie. Cynthia, par exemple, a plusieurs rejetons de par le monde. Parenteau s'est également multiplié allègrement. Erica Perrot en donne volontiers à ceux et celles qui ont envie de se lancer dans la fabrication de pain au levain. Elle a même préparé un document de présentation accompagné de sa recette de base.

Cette recette, d'ailleurs, elle l'a adaptée à son horaire de maman et d'artisane-boutiquière occupée (Erica est aussi la maman des poupées Raplapla). «Moi, j'ai simplifié au max, explique-t-elle. Tous les trucs de fermentation, ça me fait triper, mais si ça prend plus que quelques minutes, je laisse tomber. Je serais un peu gênée d'expliquer ma recette à un boulanger professionnel, mais au final, le pain est bon, sain, fait maison avec de la farine bio et avec mon propre levain.» Bref, ce n'est pas la recette qui mène dans cette maisonnée!

D'autres, comme le studieux sommelier Carl Villeneuve-Lepage, se placent complètement au service de leur pain. Les vrais de vrais cracks de boulangerie maison comme lui respectent religieusement la recette du Californien Chad Robertson, dans son livre Tartine Bread. Longue et farcie d'étapes, la méthode Tartine donne sans conteste l'un des meilleurs pains qu'on ait mangés, du moins lorsqu'elle a été exécutée par Carl.

Faire du pain devient ainsi une activité en soi, qu'il faut planifier et à laquelle on consacre une journée entière, pour rabattre la pâte toutes les demi-heures, accorder les temps d'autolyse, de fermentation et de repos nécessaires, bouler puis façonner les miches, etc. L'effort est récompensé par deux beaux pains de campagne à la croûte épaisse et craquante, avec une mie moelleuse et alvéolée à souhait.

La magie du levain

Mais pourquoi donc se donner autant de mal pour faire du pain au levain quand c'est si vite réglé avec une petite enveloppe de levure chimique? «Le levain, ça donne une texture complètement différente au pain, une texture plus élastique. Et le goût est plus complexe», explique Marc-André Cyr, anciennement chez Olive+Gourmando, Le pain dans les voiles, Melk, Foxy, etc. Le boulanger pigiste et professeur de boulangerie n'est pas un ayatollah du levain. Il ne lève pas le nez sur la levure. Seulement, il trouve que les gens en utilisent trop, plutôt que d'allonger le temps de fermentation pour permettre au pain de lever plus naturellement.

Pierre-Alexandre Poirier a justement commencé ses activités de boulanger amateur avec de la levure, grâce à la fameuse recette de pain sans pétrissage de Jim Lahey, publiée et republiée dans le New York Times. Puis, il a décidé d'essayer le levain, entre autres pour la gratification que lui procurait la réussite de cette étape supplémentaire.

«Maintenant, j'ai vraiment l'impression de faire mon pain de A à Z, même si ce n'est pas moi qui fais pousser le blé! C'est un moment assez magique quand on soulève le couvercle du Creuset et que le pain a bien levé. Même si ça fait deux ans que je fais du pain deux ou trois fois par semaine, il y a toujours cette incertitude, suivie d'une intense satisfaction de voir que ça a monté avec des levures toutes naturelles.»

Le designer, chef d'équipe chez Shopify, partage sa passion du pain avec sa belle-maman, qui est nulle autre que Monique Savoie, présidente, fondatrice et directrice de la Société des arts technologiques (SAT). À la maison de campagne de «Nini», les boulangers amateurs ont même fait construire un four à pain traditionnel en argile. Les premiers pains qui en sont sortis étaient un «flop monumental».

Mais Pierre-Alexandre n'y voit qu'une nouvelle occasion d'apprendre. Un jour, les divins pains aux noix de noyer noir qui sortiront de ce four ancestral lui procureront une joie et un sentiment d'accomplissement qu'aucun pain industriel ne saurait égaler.

PHOTO PATRICK SANFACON, LA PRESSE

Erica Perrot a adapté sa recette de pain à son horaire chargé. «Je serais un peu gênée d'expliquer ma recette à un boulanger professionnel, mais au final, le pain est bon, sain, fait maison avec de la farine bio et avec mon propre levain», dit-elle.

CONSEILS D'AMATEURS

Petit guide d'achat pour ceux qui voudraient aussi se lancer dans l'aventure gratifiante du pain au levain maison.

Les farines préférées

Le Moulin des Cèdres, en vente au Marché 3 piliers, au Marché des saveurs, entres autres.

https://www.moulindescedres.com/ou-trouver-nos-produits

Seigneurie des Aulnaies, en vente au Marché des saveurs, par Lufa, entre autres.

https://www.laseigneuriedesaulnaies.qc.ca/section.php?suffixe=&p=130

La Milanaise, disponible dans la plupart des épiceries et des supermarchés du Québec

https://lamilanaise.com/points-de-vente/

Une curiosité

L'école de boulangerie vermontoise King Arthur Flour vend des petits pots d'un levain issu d'une culture vieille de plus de 100 ans. À 8,95 $US le pot et 25 $US de frais de livraison (si les douanes le laissent passer!), vous êtes aussi bien de partir votre propre levain. Mais si vous passez au Vermont, pourquoi pas?

https://www.kingarthurflour.com/shop/items/classic-fresh-sourdough-starter-1-oz

Outils et accessoires

Il faut peu d'outils pour se lancer. Une cocotte ou une poêle en fonte double et un ou deux bannetons (paniers dans lesquels on fait pointer le pain, appelés proofing baskets en anglais) suffisent bien souvent. Vous trouverez ces objets dans la plupart des cuisineries, comme Monas et La quincaillerie Dante, à Montréal. Carl Villeneuve-Lepage a une préférence pour les bannetons vendus à la boutique Les Touilleurs.

lestouilleurs.com

Les livres pour se lancer (du plus simple au plus complexe)

Boulange et boustifaille, d'Albert Elbilia, avec la participation de Stelio Perombelon et d'Éric Dupuis, Les éditions de l'Homme, 239 pages, 32,95 $

Bien qu'il travaille aujourd'hui avec une méthode infiniment plus poussée, Albert Elbilia propose des recettes de pain bien simples et accessibles dans ce livre paru en 2014. Toutes les miches, baguettes et autres brioches sont faites à base de levure sèche. Le designer devenu boulanger à temps plein depuis l'ouverture de son commerce Merci la vie, à Prévost, ne travaille jamais avec le levain, dont il n'aime pas l'acidité. Au lieu, il utilise maintenant une quantité infime de levure et pratique des fermentations très longues (entre 30 et 100 heures!). Magnifique ouvrage qui met l'eau à la bouche, Boulange et boustifaille propose également plusieurs recettes qui donneront une deuxième vie à vos pains de la veille.

Croustillant - La leçon de boulangerie, de Richard Bertinet, Flammarion, 159 pages, 36,95 $

Dans ce livre, l'auteur aborde la question du levain, «Saint-Graal du pain», technique la plus ancienne dans l'art de faire du pain. «Honnêtement, j'exerce depuis plus de 30 ans et je n'ai jamais sorti un pain au levain du four sans éprouver une réelle sensation d'accomplissement», écrit le boulanger français Richard Bertinet. Il saura sans doute vous convaincre d'essayer. Sinon, il propose également des recettes à base de levure fraîche. Si vous n'avez pas envie de courailler les boulangeries pour en acheter, il est possible de substituer de la levure sèche. Normalement, 3 g de levure fraîche équivalent à 1 g de levure sèche.

Flour Water Salt Yeast - The Fundamentals of Artisan Bread and Pizza, de Ken Forkish, Ten Speed Press, 265 pages, 41 $ (en anglais)

Le boulanger de Ken's Artisan Bakery, à Portland (Oregon), est une référence dans le milieu. Son livre aborde plusieurs types de pain, qu'ils soient montés à la levure, à la pâte fermentée (poolish, etc.) ou au levain. L'ouvrage est également une mine de renseignements pratiques, de conseils et de précisions bien scientifiques pour se lancer dans la boulangerie du bon pied. En prime, des recettes de pizza!

Tartine Bread, de Chad Robertson et Eric Wolfinger, Chronicle Books, 304 pages, 38,75 $ (en anglais)

C'est sans conteste LA bible récente du boulanger amateur. Tartine Bakery & Cafe est une boulangerie-pâtisserie culte à San Francisco. Son boulanger, Chad Robertson, est adulé comme un dieu par les obsédés du pain. La recette du pain de campagne publiée dans Tartine Bread remplit plusieurs pages très clairement illustrées. Si vous avez la patience de la suivre à la lettre - à répétition! - , vous obtiendrez un jour les meilleurs pains auxquels un boulanger du dimanche puisse aspirer. Les recettes de panade, de panzanella, de gaspacho, de soupe à l'oignon, de tartines et de sandwichs qui suivent sont autant d'excellentes raisons d'acheter ce livre.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE