Les grandes cuisines que les jeunes entreprises se partagent ont la cote à Montréal. Une première a vu le jour il y a un an et demi dans le Mile End et une deuxième naîtra dans Ahuntsic, au printemps. Notre journaliste dresse le portrait de ces espaces collaboratifs et de quelques cuisiniers qui y travaillent.

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Qu'ont en commun les biscuits aux épices de Storica, les brownies de Rose Madeleine et les tartinades de Chez Figue ? Les entrepreneures derrière ces trois entreprises partagent toutes la même grande cuisine. Inspirée d'un concept américain, une première cuisine collaborative s'est installée dans le Mile End et une deuxième verra le jour au printemps dans Ahuntsic.

Lorsqu'on entre dans le loft lumineux de la Centrale culinaire, l'espace grouille de vie. Sur les stations de travail en inox, Maurín Arellano assemble des plats de prêt-à-manger tandis que Sarah-Geneviève Perreault prépare du kimchi. En fin d'après-midi, elles céderont leur place, car un cours de cuisine indienne doit avoir lieu dans le local de la rue Casgrain.

En tout, une dizaine d'entreprises utilisent la Centrale culinaire. Elles se servent de la cuisine pour préparer des recettes, mais elles ont aussi accès à un grand espace pour rencontrer des clients, donner des ateliers de cuisine ou organiser des événements culinaires.

C'est Tania Jiménez qui a eu cette idée de cuisine collaborative, il y a environ trois ans. Chaque fois qu'elle organisait un repas-partage, elle se retrouvait avec la difficile tâche de trouver un local où plusieurs personnes pourraient cuisiner en même temps. Chaque fois, elle devait aussi transporter une tonne d'ingrédients et de vaisselle de sa maison à la cuisine qu'elle louait.

En faisant des recherches sur l'internet, Tania est tombée sur les incubateurs culinaires, un concept qui existe depuis une quinzaine d'années aux États-Unis. La Montréalaise d'origine mexicaine s'est rendue à San Francisco et à New York pour rencontrer les têtes dirigeantes de ces lieux de coworking (espaces partagés de travail).

De retour à Montréal, elle a trouvé un local qu'elle a converti en cuisine. Elle a déniché des cuisinières résidentielles, des tables de travail de restauration, des réfrigérateurs commerciaux et toutes sortes d'accessoires, de la cuillère en bois au robot culinaire.

Les jeunes entreprises partagent le loft en grande partie pour réaliser des économies, explique Tania. « Quelqu'un qui veut commencer sa business de confitures n'aura peut-être pas les moyens de se louer un local, de se monter une cuisine commerciale et de s'équiper. Lorsqu'on se lance en affaires, on a rarement de grands moyens, d'autant plus qu'on n'a pas encore de clientèle. »

Amélie Morency, qui travaille sur le Food Room, une immense cuisine moderne qui devrait voir le jour au printemps près du métro Sauvé, partage cette opinion. En restauration, 71 % des entreprises meurent au bout de cinq ans et celles qui survivent font de très petites marges de profit, souligne la diplômée de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec et du Founder Institute.

« À moins d'avoir un oncle vraiment riche ou d'avoir gagné à la loterie, il faut emprunter beaucoup d'argent pour démarrer une entreprise en alimentation. Et ton four à 35 000 $, s'il brise demain matin, qu'est-ce que tu fais ? », explique Amélie Morency.

Lorsque des entrepreneurs signent un contrat avec la Centrale culinaire, ils acquièrent une grande autonomie. « Les gens sont vraiment indépendants, souligne Tania Jiménez. La personne qui achète un bloc de 30 heures de cuisine par mois, elle réserve elle-même ses plages horaires dans le calendrier en ligne. Tout le monde obtient également une clé pour entrer dans le local. Tout ce que ça prend, c'est un permis du Ministère et une formation en hygiène. »

En plus de permettre aux entreprises d'utiliser des locaux entièrement équipés, les cuisines collaboratives ont un autre avantage de taille, soulignent leurs utilisateurs. Elles permettent aux cuisiniers de se sentir moins seuls parce que les journées peuvent souvent sembler longues, en solitaire, derrière les fourneaux.

>>>Consultez le site de la Centrale culinaire: http://centraleculinaire.ca/

Portraits de cuistots-partageurs

Les entrepreneurs qui travaillent dans les cuisines collaboratives sont ravis de leur expérience. Les espaces sont vivants et permettent des rencontres avec d'autres passionnés de cuisine. Portraits de quatre membres de la Centrale culinaire.

Maurín Arellano

Son entreprise ? Maurín Cuisine prépare notamment des plats de prêt-à-manger avec des ingrédients achetés auprès de producteurs locaux.

Temps passé à la Centrale ? 30 heures par semaine

Ce qui lui plaît ? La Centrale culinaire, c'est le bureau de Maurín. Ici, elle rencontre ses fournisseurs, organise des soupers thématiques, donne des ateliers et cuisine, bien sûr, ses petits plats. « Quand tu commences, installer ta cuisine coûte cher. Ça prend beaucoup d'argent et moi, je n'en avais pas. Pendant un certain temps, j'ai loué un espace, mais c'était rendu trop petit. Ici, c'est tout équipé et on sent que Tania [la propriétaire] veut aider les petites entreprises. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

«Ici, c'est tout équipé et on sent que Tania (la propriétaire) veut aider les petites entreprises», explique Maurín Arellano.

Amélie Masson-Labonté

Son entreprise ? Storica prépare des biscuits de pain d'épices. « Je ne pensais pas que ça se vendrait après Noël, mais ça fait maintenant un an et demi que je fais ça ! »

Temps passé à la Centrale ? Une journée par mois

Ce qui lui plaît ? Amélie a une production de biscuits tellement grande qu'elle est obligée de travailler dans une cuisine commerciale. Mais trouver un local est difficile et surtout dispendieux, dit-elle. « Ça ne me tentait pas d'investir pour aménager un local. Ça m'aurait coûté très cher et j'aurais dû emprunter. Ici, je rencontre plein de belles personnes et on s'échange des contacts. Ça ne paraît pas, mais lorsqu'on est entrepreneur, on est souvent seul dans notre cuisine. Les semaines peuvent être longues. La cuisine collaborative permet de briser l'isolement. »

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«Ça ne paraît pas, mais lorsqu'on est entrepreneur, on est souvent dans notre cuisine», souligne Amélie Masson-Labonté.

Jevto Bond

Son entreprise ? J. Bond chef thaï donne des cours de cuisine thaïe à la Centrale culinaire. Il se déplace aussi à domicile pour cuisiner des repas. « Je suis le seul chef thaï d'origine suédoise qui mesure 6 pi 6 au monde ! »

Temps passé à la Centrale ? Quatre soirs par mois

Ce qui lui plaît ? Jevto a été l'un des premiers à s'installer à la Centrale culinaire. En fait, il a aidé à assembler les étagères tellement il avait hâte que le lieu ouvre ses portes. Le chef thaï aime l'ambiance amicale et dynamique de la Centrale. « Quand je suis parti de Québec pour m'installer à Montréal, je cherchais une nouvelle cuisine où donner mes cours, mais il n'y a rien qui m'allumait. Ce n'est vraiment pas facile à trouver et ça ne me tentait pas non plus d'emprunter 100 000 $ pour créer mon propre truc. Ici, c'est beau, c'est grand et il y a une super énergie. »

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«Ici, c'est beau, c'est grand et il y a une super énergie», mentionne Jevto Bond.

Mélodie Momy

Son entreprise ? Melograno cuisine urbaine prépare des petits plats de cuisine italienne livrés à domicile.Temps passé à la Centrale ? 8 heures par semaine

Ce qui lui plaît ? Mélodie est tombée sous le charme de la Centrale culinaire aussitôt qu'elle y a mis les pieds. Elle a même signé un contrat à sa première visite. « Je me suis tout de suite sentie chez moi. L'ambiance est chaleureuse et on peut échanger avec des gens qui partagent la même passion. » La cuisinière cherchait un endroit où entreposer tous ses ingrédients et elle a trouvé l'espace parfait à la Centrale.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

«Je me suis tout de suite sentie chez moi, remarque Mélodie Momy. L'ambiance est chaleureuse et on peut échanger avec des gens qui partagent la même passion.»