Elle n'a l'air de rien, cette maisonnette anonyme toute pareille à ses voisines dans une rue tranquille de Rivière-des-Prairies. Mais passez seulement la porte. La statue du Sacré-Coeur sur le manteau de la cheminée. Les photos de famille sur tous les murs. Le miroir à dorures rococo. Et le maître de maison, avec sa moustache en guidon de bicyclette et sa bonne tête de bon vivant...

Vous voilà en Italie, plus précisément en Calabre, cette région qui, tout au bout de la botte que dessine la carte du pays, s'apprête à expédier la Sicile en Afrique comme un ballon au but.

C'est de là que sont venus bon nombre des Italo-Canadiens qui ont pris racine ici. C'est là qu'est né Ettore Egiziano, dans un village du nom de Gizzeria, que sa famille a quitté pour débarquer au Canada en 1960, quand il avait 11 ans.

La famille a quitté le village, mais, comme on dit, le village n'a jamais quitté la famille. À Noël, avec les enfants, les beaux-frères, les belles-soeurs, les neveux, les nièces, les fiancés, les petits-enfants, ils sont au moins une trentaine autour de la table. Ensemble, ils savourent des plats que leurs aïeux préparaient avant eux et, avant les aïeux, leurs ancêtres. On dit que les origines de la cuisine calabraise remonteraient comme ça jusqu'à la Grèce antique.

La Calabre est un pays âpre, rude, sec l'été, froid l'hiver - ce n'est pas pour rien que ses habitants l'ont quittée en masse dans les années dures. Sa cuisine, bien pimentée, se caractérise par l'art de conserver les aliments - anchois, tomates, olives, saucissons - en prévision des mauvais jours.

En bons Italiens, Ettore et sa femme, Rosalba, ont gardé cette habitude ancestrale et font tout eux-mêmes : le vin (près de 400 bouteilles), les olives marinées, la sauce tomate (100 litres), les piments dans l'huile, le saucisson sec. Mais pourquoi se donner autant de mal ? « Eh ! C'est la tradition ! », dit Ettore avec son bel accent aussi frisé que sa moustache. « Et puis ça ne demande pas tant de temps. Trois jours par année, ce n'est pas beaucoup : une journée pour le vin, une pour les saucissons, une pour les tomates, c'est tout... »

Rosalba, souffrante, ne peut plus vraiment mettre la main à la pâte. Pour ces corvées-là, Ettore réquisitionne donc ses enfants, maintenant dans la jeune quarantaine et eux-mêmes parents. Et ils n'ont pas le droit de lui dire qu'ils n'ont pas le temps !

NOËL MARITIME

Un repas de Noël calabrais se compose avant tout de plats de poisson et de fruits de mer, jamais de viande, qu'on réserve pour le jour de l'An. Inévitablement, sur la table habillée de la nappe de lin brodée des grandes occasions, on posera une bouillabaisse et des pâtes aglio, olio e peperoncino (à l'huile, à l'ail et au piment).

Et un Noël calabrais ne se conçoit pas sans un plat de baccala in umido (morue salée en sauce), la spécialité d'Ettore, qu'il a cuisinée pour nous sans façon avec l'adresse d'un chef et la gentillesse d'un père.

Doucement mijotée dans la sauce tomate, la morue devient un pur bonheur, une explosion de saveurs, quelque chose comme un avant-goût du ciel. Bien sûr, les piments à l'huile d'Ettore, son pesto, son mélange secret de fines herbes et de champignons séchés y sont pour quelque chose. Il faudra de la chance pour arriver à un tel degré de perfection sans la touche magique qu'apportent les ingrédients maison. Mais bon, on peut toujours essayer.

Buon appetito !

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Ettore Egiziano, qui nous cuisine des plats italiens à base de poisson. 

Italie (Calabre)

Superficie: 301 300 km2 

Population: 59,5 millions d'habitants (Calabre: 2 millions) 

Capitale: Rome (Calabre: Catanzaro)

Nombre de personnes d'origine italienne au Canada: environ 1,5 million (recensement de 2011)

Baccala in umido (morue salée en sauce)

Pour 4 personnes

INGRÉDIENTS

500 g de morue salée

1 oignon émincé

3 ou 4 gousses d'ail émincées

1/2 tasse de persil plat ciselé ou environ 5 c. à soupe de pesto

1 L de bonne sauce tomate

1 c. à soupe de champignons porcini en poudre (facultatif)

Flocons de piment

Fines herbes au goût

PRÉPARATION

1. Faire tremper la morue dans l'eau pendant 24 à 48 heures pour la dessaler en changeant l'eau toutes les 12 heures.

2. Bien l'éponger, la couper en morceaux d'égale grosseur, réserver.

3. Dans une grande casserole à fond épais, faire tomber l'oignon dans un peu d'huile d'olive. Ajouter l'ail, faire revenir quelques minutes sans laisser prendre couleur.

4. Ajouter la sauce tomate, la poudre de champignons et les assaisonnements au goût.

5. Amener à douce ébullition, puis déposer les morceaux de morue dans la sauce.

6. Laisser mijoter à découvert, à feu doux, pendant une bonne heure.

7. Goûter et rectifier l'assaisonnement au besoin.

8. Accompagner de pâtes aglio e olio et de bettes à cardes sautées.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE