La betterave se métamorphose en raviole gourmande, l'huître est grillée comme une viande: dans son restaurant au design brut, en pleine campagne du Pas-de-Calais, Alexandre Gauthier compose une cuisine ancrée dans sa région, mais résolument moderne, se jouant des conventions.

Spontané et chaleureux, ce chef de 36 ans aux manettes de La Grenouillère, qui vient d'être nommé cuisinier de l'année par l'édition 2016 du Gault et Millau, utilise des produits locaux à 80%, qu'il aime «prendre à contre-pied».

Chez lui, l'expérience culinaire se vit dans un havre aussi rural qu'avant-gardiste. Le chef, qui a repris en 2003 le restaurant paternel installé dans une longère traditionnelle, y a adjoint une salle et une cuisine aux airs de forge moderne, signées de l'architecte Patrick Bouchain.

Le convive y dîne sur des tables couvertes de cuir, entouré de baies vitrées qui offrent le spectacle de la nature foisonnante et odorante de cette région de marais. Une campagne qui devient aussi un terrain d'expression pour les artistes contemporains dont les oeuvres sont exposées dans son domaine.

Sa cuisine, Alexandre Gauthier, la décrit «de racine et de souche française», mais «libérée de tout a priori et certitude». «Si vous faites tomber ces barrières-là, ça ouvre des portes énormes sur la créativité», explique-t-il à l'AFP de son débit rapide.

«L'idée, c'est de se demander, pour tel produit que l'on connaît tous par coeur, comment le proposer différemment».

Herbes cueillies dans le marais 

Comme la betterave, produit local et populaire: le chef en fait une raviole rouge, qui s'ouvre au premier coup de couteau pour laisser échapper un jaune d'oeuf, jusque là prisonnier d'un beurre de haddock. Le plat est aussi beau que savoureux, d'une simplicité qui n'est qu'apparente.

Le melon d'eau, taillé en cylindres et associé à une écrevisse, devient un «pickle» mariné dans le vinaigre. L'huître de Saint-Vaast-la-Hougue (Manche), décoquillée, est grillée comme une viande, accompagnée de courgette.

Pour son dessert vedette, la «bulle du marais», globe transparent de sucre fin et craquant qui emprisonne des glaces aux herbes fraîches, le chef et son équipe vont faire la cueillette «dans le marais, à vingt mètres» du restaurant.

«On y trie les chlorophylles mentholées, les chlorophylles acidulées, on en fait deux glaces séparées. En fonction des périodes, les feuilles sont plus ou moins épaisses et dures, donc on a des notes d'expression différentes», décrit Alexandre Gauthier, qui se définit comme «un artisan du moment, de l'éphémère».

S'installer loin de Paris, dans cet endroit reculé, «c'est un vrai pari», reconnaît l'enfant du pays. «Mais c'est aussi un carrefour de l'Europe, je suis à la même distance de Londres, de Paris, de Bruxelles», souligne le chef, qui a décroché une étoile Michelin en 2008 et déjà été distingué à deux reprises, en 2010 et 2012, comme «créateur de l'année» par le carnet Omnivore de la jeune cuisine.

Sa clientèle est d'ailleurs à 50% étrangère: «On a des Belges, des Anglais, des Allemands, des Japonais, des Américains». «C'est à l'image de mon équipe», dit-il en se tournant vers la brigade qui s'active derrière lui en cuisine. «J'ai deux Japonais, un Belge, un Canadien, une Néo-Zélandaise, une Thaïlandaise, une Anglaise...»

Côté hôtellerie, huit huttes ont été aménagées dans le jardin, inspirées de celles des chasseurs de la région. Quatre chambres complètent l'offre, en attendant l'ouverture d'une maison d'hôtes.

Avec sa compagne Magali, le trentenaire a ouvert deux autres établissements dans le village de Montreuil-sur-Mer, la rôtisserie Froggy's tavern, et le restaurant Anecdote où il compose une «cuisine de mémoire», reprenant des plats de son père, le steak au poivre, la truite au bleu, la tarte Tatin, la crêpe Suzette. Il se retrouve désormais à la tête d'une équipe de 48 personnes au total.

Dans ces établissements aux menus accessibles, «on touche tout le monde, on fait le lien avec les habitants, on fait une gastronomie populaire», explique le chef.