Après avoir été mis au rancart pendant des décennies, phobie du cholestérol oblige, le beurre fait un grand retour. Même que comme la poutine ou le pâté chinois, on se plaît à le réinventer.

Je connais bien des gens qui aiment plus ou moins les vins naturels, le café sous-torréfié et la cuisine austère nordique très actuelle prisée chez les bo-bo, remplie d'herbes sauvages et de viandes grillées, de baies aux noms oubliés et de plantes ancestrales.

Mais il y a une chose qui fait l'unanimité: son beurre.

Faits à partir de crèmes plus ou moins fermentées de vache, de chèvre ou de brebis, les beurres que déclinent les laiteries oeuvrant pour ces établissements sont éclatés, acides, parfumés, parfois ponctués de gros flocons de sel ou tout doux, remplis de saveurs complexes.

On les mange sur du pain au levain et souvent, entre des branches d'arbres pochées et un poisson séché sur le foin, ce sont les moments les plus jouissifs du repas dans ces restaurants.

Après des décennies de pénitence, le beurre fait donc un retour par la grande porte, celle de la réinvention des traditions qu'ont traversée saucissons français, poutines québécoises et autres gaspachos espagnoles.

«Le beurre fait vraiment un retour depuis cinq ans. Il y a eu une baisse dramatique de la consommation pendant 50 ans, mais là, il est revenu», explique Pierre La Haye, conseiller en recherche et développement en alimentation, spécialiste des produits laitiers.

Aujourd'hui, c'est La Haye qui travaille, notamment avec la laiterie Chagnon, à Waterloo, l'une des dernières laiteries indépendantes du Québec, pour développer des produits laitiers un peu différents, comme toute la gamme «Run de lait» commercialisée par la Société-Orignal.

Dans cette gamme, il y a un beurre de culture que des restaurants comme Toqué!, Joe Beef, Bouillon Bilk, ou alors Canoe et Bar Buca à Toronto, adorent.

«On l'a travaillé pour que le croquant des grains de sel soit encore perceptible», explique La Haye, chimiste de formation, qui refuse de révéler comment il réussit cela, secret industriel oblige.

Lorsqu'on y goûte, on sent les saveurs développées par la fermentation de la crème. On n'est pas du tout dans des goûts de fromage, mais on est à mille lieues aussi du goût plat, uniforme, du beurre industriel. L'acidité est bien présente et structure le goût du beurre, le rend plus complexe, plus long en bouche. «C'est la fermentation avant le barattage, dit La Haye, qui fait toute la différence.»

Ça, et le fait que le pourcentage de gras est un tout petit peu plus élevé que dans les beurres habituellement consommés en Amérique du Nord: 84% au lieu de 82%. Un petit 2% qui fait une grande différence au goût.

Le viking du beurre 

Tout ce retour vers le beurre de culture traditionnel pour mieux le réinventer peut être retracé en Suède où Patrik Johansson, dit le Viking du beurre, prépare le beurre qui est servi chez Noma, le fameux restaurant de Copenhague, au Danemark.

Les gens qui ont mangé chez Noma se rappellent généralement le beurre, qui est à la fois crémeux et acide, complexe, légèrement granuleux, comme si on n'avait pas voulu totalement le brusquer en l'obligeant à lier ses cellules grasses...

«Notre processus pour préparer le beurre prend trois jours», explique Johansson, un coloré personnage joint chez lui près de Göteborg qui tient à préciser en entrevue qu'une des meilleures façons d'expérimenter son beurre est d'en prendre une cuillerée avant d'embrasser quelqu'un... «Le processus pour préparer le beurre industriel prend trois secondes, et ils doivent ajouter des saveurs artificielles de beurre pendant la seconde numéro deux.»

Sa recette, cependant, n'a rien d'ancestral. C'est lui qui l'a mise au point en essayant et en réessayant toutes sortes de façons de faire bouger la crème, avec toutes sortes de ferments, avant de la baratter pour en extraire les matières grasses.

Cette façon de fonctionner a fait école et, d'année en année, on retrouve de plus en plus des beurres travaillés ainsi dans différents restaurants, où le beurre est pratiquement un plat en soit, que ce soit chez Kadeau à Copenhague ou Gastrologik à Stockholm, Dabbous à Londres ou même Etxebarri au Pays basque, où l'une des entrées est carrément un pavé de beurre de lait de chèvre!

Et on ne parle pas ici de beurres aromatisés, mais bien de beurres purs, qui ont été tout simplement produits différemment.

Chez Frantzen, à Stockholm, on pousse même l'expérience un peu plus loin: on baratte le beurre à table, devant vous, à la main.

Selon Johansson, ce n'est pas dans la fraîcheur du barattage que réside la clé du bon beurre.

Photo fournie par le NoMad Bar

Radis, beurre et fleur de sel, servis au NoMad Bar, à New York. 

Pour le moment, ces beurres se limitent surtout aux restaurants.

Quelques beurres de culture sont proposés par des marques françaises, comme Isigny par exemple. Il y a aussi le beurre de culture de la Société-Orignal fabriqué par la laiterie Chagnon, celui de la Beurrerie du Patrimoine, une autre laiterie indépendante à Compton, dans les Cantons-de-l'Est.

Les marques locales industrielles proposent aussi du beurre dit de culture, mais selon Cyril Gonzales, de la Société-Orignal, ces produits sont «faussement artisanaux». Pour du vrai beurre de culture, dit-il, il faut se tourner vers les laiteries indépendantes, celles qui veulent et peuvent sortir des sentiers battus.

Carnet d'adresses 

Stirling Creamery http://stirlingcreamery.com/

Société-Orignal http://www.societe-orignal.com/

Laiterie Chagnon http://www.laiteriechagnon.com/

Ferme Groleau http://www.fermegroleau.com/

Les mots du beurre

Beurre traditionnel

Salé ou pas, c'est celui que l'on trouve à l'épicerie. Il est fait à partir de crème que l'on baratte (fouette) jusqu'à ce que les molécules de gras se lient et se séparent du babeurre.

Beurre de culture

Produit avec de la crème qui a été fermentée avant d'être barattée. La fermentation donne un goût plus complexe, nettement plus acide et parfumé au beurre. Certains consommateurs, habitués au beurre industriel, trouvent ce beurre trop fromagé; d'autres trouvent que c'est le seul beurre qui a du goût. Sur le marché, on trouve du beurre de culture industriel et artisanal.

Ghee

Ce beurre traditionnel indien, mais utilisé en cuisine partout - en français, on appelle cela du beurre clarifié -, est un beurre concentré dont on a retiré les dernières matières solides. C'est donc pratiquement uniquement du gras (à 99,5%). L'avantage du ghee: on peut le chauffer beaucoup plus que le beurre normal avant qu'il ne brûle, une qualité intéressante en cuisine.

Beurre de petit lait

Ce beurre, commercialisé notamment par la laiterie ancestrale et indépendante Stirling, en Ontario, est fait à partir du liquide crémeux qui se détache des matières solides dans la fabrication du fromage. Son goût est lui aussi complexe et bien prononcé.

Babeurre

Le liquide qui reste quand on fouette la crème en beurre. À noter: le babeurre artisanal est très différent du babeurre industriel vendu à l'épicerie.