Six mois après sa «révolution» au restaurant du Plaza Athénée, privé de viande, le chef multi-étoilé Alain Ducasse chamboule son vaisseau amiral monégasque en scandant son nouveau mot d'ordre «moins de sel, moins de graisse, moins de sucre».

Fermé depuis trois mois, dans un hôtel encore en pleine reconstruction, l'emblématique «Louis XV» triplement étoilé rouvre ses portes jeudi sous un nouveau nom, Alain Ducasse à l'Hôtel de Paris. La salle de 1864 conserve ses ornements aux murs et plafonds, mais abandonne son mobilier d'époque pour plus de modernité. En phase avec une carte largement revisitée.

«Il était temps de passer à autre chose. Il fallait être en harmonie avec le siècle qui démarre», explique le chef. Fauteuils de cuir doux ergonomiques, office central pivotant, arts de la table très sobres et éclairages modernes évoluant au fil du repas, viennent étayer son propos.

«La table est extrêmement dépouillée, presque dans sa radicalité», décrit-il. «La cuisine est en harmonie avec tout cet espace, encore plus synthétique et encore plus proche de l'ADN du goût originel de chaque ingrédient».

L'ombre révolutionnaire du Plaza Athénée va régir partout sur «la planète» Ducasse, promet-il. «Ce que je développe ici, c'est moins de sel, moins de sucre, moins de gras, moins de protéine animale. J'essaie d'anticiper l'attente du consommateur d'aujourd'hui».

Une «rupture» en douceur néanmoins, car il n'est pas question de passer au tout céréales et poissons comme dans son deux étoiles parisien.

Moins de gras, moins de sucre, moins de sel

La cuisine de la Méditerranée reste à l'honneur, avec ses produits locaux de la terre et de la mer, mais «le trait est affiné», estime-t-il.

À l'instar de ce «loup de Méditerranée aux betteraves et agrumes du Mentonnais», avec un poisson délicatement grillé avec très peu de matière grasse, dans un suc de légumes.

Ou cette entrée d'asperges vertes à la vapeur. Pas de sauce hollandaise (beurre et jaune d'oeuf) pour l'accompagner, mais du lait de brebis caillé avec une purée d'asperge et du citron de Menton confit, décortique le chef.

Dominique Lory, jeune chef trentenaire du Louis XV depuis trois ans, est particulièrement fier de son entrée audacieuse, «végétale et iodée»: des coquillages crus avec un pistou de bourrache et des pois chiches fouettés.

Le chef pâtissier Sandro Micheli a imaginé un dessert de rhubarbe fondante avec son fromage blanc mousseux au miel de lavande.

Un amuse-bouche étonnant présente des bouchées de différents poissons posées sur des galets chauffés à 250 degrés. Le serveur y verse un bouillon au citron et pose une cloche de verre. En quelques secondes, les poissons cuits à la vapeur peuvent être dégustés.

Ducasse se présente comme un marchand de souvenirs pour des clients «surstressés et suralimentés». «La haute gastronomie, comme la haute couture, doit être un moment d'exception. Nous sommes dans un restaurant de gastronomie cher, donc les deux heures ou trois heures passées ici doivent inscrire dans la mémoire du consommateur un souvenir délicieux».

Des «classiques» comme le poisson entier cuit au plat avec de l'huile d'olive ou le pigeonneau foie gras de canard et pommes de terre ont été conservés.

Que les Rabelaisiens se rassurent, le chef entend aussi «préserver le traditionnel patrimoine culinaire historique» dans d'autres établissements de son empire culinaire, comme son bistrot parisien Allard, où les grenouilles sautées au beurre meunière de 1932 sont préservées comme des joyaux nationaux.

Le boulimique entrepreneur annonce l'ouverture de sept restaurants dans les 18 mois à travers le monde, des lieux qui auront tous des plats bien à eux. «Chaque restaurant développe et je goûte les innovations. Chaque lieu doit préserver sa personnalité, c'est une obsession de cultiver sa différence, dans cette planète où on veut tout faire pareil».