Fabriquer son sirop, ça prend beaucoup d'eau d'érable et beaucoup de temps. Pourtant, plusieurs familles québécoises produisent leur propre élixir sucré. Par pur plaisir, pas pour le vendre. Rencontres.

David Beaudry et Frédéric Côté se promenaient à Eastman dans l'espoir de trouver un terrain parfait pour construire leur maison. Quand le promoteur immobilier les a informés que les arbres sur la terre où ils se trouvaient étaient des érables à sucre, le charme a aussitôt opéré.

«Immédiatement, un déclic s'est fait. Je me suis dit: "Il faut que j'essaie de faire du sirop"», raconte M. Beaudry. Conquis, le couple a fait l'acquisition du terrain et s'est rapidement intéressé à l'acériculture en lisant tout ce qui s'écrivait sur le sujet sur l'internet.

Depuis 5 ans, lorsque le mercure monte au-dessus de 0°C au printemps, le couple entaille donc une vingtaine d'érables, pose des chalumeaux et suspend des chaudières pour recueillir la sève. Une constatation s'impose depuis sa première expérience: fabriquer du sirop d'érable prend beaucoup de sève et beaucoup de temps!

Après leur journée de boulot dans une école primaire pour David et dans un hôpital pour Frédéric, l'enseignant et l'infirmier entament la tournée quotidienne de leurs arbres, car l'eau d'érable est une denrée qui périt vite. Chaque soir, ils vident les chaudières dans de grands contenants de plastique qu'ils enterrent sous la neige.

Le week-end venu, ils transforment l'eau en réduit. Ce réduit possède la même texture et la même couleur que le sirop, mais il demandera une transformation supplémentaire. Ils répètent ce procédé toutes les fins de semaine jusqu'à ce que les érables cessent de couler. C'est à ce moment qu'ils réunissent tous les réduits qu'ils avaient congelés pour les transformer en sirop d'érable. Enfin!

Les apprentissages de David et Frédéric ont été marqués par quelques gaffes qui les font rire aujourd'hui. La première année, le couple a fait bouillir l'eau d'érable sur le poêle de la cuisine. Ce qu'il ne savait pas, c'est que les vapeurs d'érable sont extrêmement collantes. Pour éviter de nettoyer leur cuisine de fond en comble, il utilise désormais un brûleur au propane sur son balcon extérieur.

David et Frédéric ont également changé leur façon de stériliser leurs filtres. «La première année, je les avais passés à la laveuse avec un tout petit peu d'eau de Javel. Vraiment juste un petit peu. Eh bien! Le sirop, il goûtait l'eau de Javel. C'était dégueulasse», se rappelle M. Beaudry en riant!

Deux arbres suffisent

Benoit Paquin, lui, n'a pas eu besoin de bouquiner pour apprendre les rudiments de l'acériculture. Il a tout appris de ses parents qui entaillaient les érables de leur terre de Mont-Laurier quand il était petit.

Au lendemain de l'achat de son terrain en 1966 dans un quartier résidentiel de Laval, il a planté deux érables dans le but précis de confectionner son propre sirop. Le charpentier-menuisier a même aménagé un espace dans la maison qu'il a construite pour faire bouillir son eau d'érable.

Aujourd'hui âgé de 83 ans, il a développé un fin palais de dégustateur de sirop. Celui qu'il préfère est ambré et possède un petit goût végétal. «J'ai planté deux variétés d'érable. Celui en avant, c'est un érable plane et il est plus sucré que celui en arrière, un érable franc. Je mélange la sève des deux arbres. C'est un peu comme le vin quand on mélange les cépages», raconte celui qui confectionnait son sirop bien avant la vague du fait maison.

Une balade dans le quartier de M. Paquin a d'ailleurs quelque chose d'un peu surréel pour une banlieue urbaine, car il n'est pas le seul à suspendre des chaudières en aluminium à ses arbres. Son voisin, par exemple, se fait une réserve de sève dans son congélateur pour cuire son gruau dans l'eau d'érable tout au long de l'année. Chic, vous dites?

Une histoire de famille

À l'opposé de ces deux petites productions d'Eastman et de Laval, les Roy-Chevalier entaillent pas moins de 750 érables par pur plaisir! Les membres de la grande famille se relaient pendant toute la saison des sucres pour récolter le plus d'eau d'érable possible. Malgré l'ampleur de la tâche, tout se fait de manière artisanale, raconte François-Pierre Chevalier.

Les hommes et les enfants récoltent l'eau d'érable en raquettes, les femmes mettent le sirop en conserve avec un sertisseur ancien, et grand-papa entretient la flamme du four à bois à la parfaite température. Seule innovation, un véhicule tout-terrain a remplacé les chevaux pour transporter les barils d'eau d'érable.

«Le but, c'est de conserver cette tradition purement de chez nous. Lorsqu'on vient faire du sirop, ça rassemble toute la famille et ça nous permet de passer le flambeau aux générations suivantes. Le sirop d'érable, c'est une richesse que l'on doit perpétuer en tant que Québécois», déclare M. Chevalier.

Tous ensemble, les Roy-Chevalier mettent beaucoup de temps et d'amour à produire un sirop d'érable de qualité. «Chaque fois que je donne une canne à quelqu'un, je lui dis qu'un produit comme ça, ça n'a pas de prix», souligne M. Chevalier.

Photo Robert Skinner, La Presse

David Beaudry et Frédéric Côté ont décidé de faire leur propre sirop d'érable sur leur propriété d'Eastman.