Des truffes enfermées dans un sac en toile, un panier recouvert d'un linge ou une besace dissimulée sous le manteau, les trufficulteurs rejoignent courtiers et négociants installés sur le cours Mistral, à Richerenches (Vaucluse), pour la traditionnelle ouverture officielle du marché.

L'événement a lancé ce week-end en France la saison de ce champignon qui s'épanouit sous terre et affole les papilles comme les cordons de la bourse: le kilo de diamant noir peut atteindre 1000 euros (près de 1400 dollars) lors des fêtes de fin d'année.

Jusqu'à mi-mars, ce petit village de l'enclave des papes, dans le nord du Vaucluse, devient le haut lieu du négoce de la tuber melanosporum: quinze tonnes y ont été vendues l'an dernier au prix moyen de 450EUR/kg, selon une source proche du monde trufficole.

Devant les coffres des véhicules ouverts, la rabasse - terme désignant la truffe en Provence - est humée, inspectée et reçoit un coup de canif pour vérifier sa maturité, avant d'être pesée avec une balance romaine. Le prix est murmuré et les transactions s'effectuent discrètement.

Les premiers spécimens, achetés entre 50 euros/kg et 80 euros/kg à cause de leur manque de maturité, sont destinés principalement à la conserverie.

«C'est très faible. À ce prix-là, je préfère les garder!», déplore un trufficulteur venu de la Drôme voisine.

«Il n'y a pas beaucoup d'engouement pour la truffe, qui n'est pas mûre. Il faut attendre un peu», constate André Valayer, qui appartient à une famille de négociants depuis trois générations.

«Très mystérieuse» 

«Cette année, on pense avoir une bonne récolte de truffes noires en France, en Espagne et en Italie, donc on aura un cours plus bas que l'an dernier», explique un négociant venu de Dordogne.

«Ils font rentrer de la truffe pas chère de l'extérieur à 30 ou 40 euros pour la revendre quatre ou cinq fois plus cher. Ça tue la production locale! Alors qu'il y a vingt ans, on nous a encouragés à planter pour répondre à la demande», dénonce le trufficulteur drômois.

Pour obtenir un meilleur prix, des producteurs proposent leurs truffes aux particuliers sur le marché voisin des produits du terroir, à des tarifs plus élevés: le kilo s'y vendait 300 euros (environ 420 dollars) samedi matin.

Dans le Sud-Est, qui fournit 80 % de la production nationale, selon le trésorier de la confrérie du Diamant noir et de la gastronomie, Denis Prunier, la rabasse «est dans les gênes des familles depuis des générations».

La culture s'est structurée ces deux dernières décennies avec des plantations d'arbres micorizhés (association entre le champignon et les racines de l'arbre qui favorise des échanges chimiques utiles aux deux), principalement des chênes verts et blancs, mais qui n'offrent toutefois aucune garantie de récolte.

«Sur un même terrain, certains arbres donnent, d'autres pas. Certains vont être très productifs une année, puis plus rien, sans qu'on sache pourquoi. La truffe est très mystérieuse», souligne Dominique qui souhaite garder l'anonymat.

Le monde trufficole ne dévoile pas non plus ses secrets. Quand les questions concernent les quantités vendues, la manne financière générée ou la fiscalité, les langues se figent.

«Nous, les trufficulteurs, on n'a pas de mémoire», dit l'un d'eux avec un sourire, jurant ne plus se souvenir combien lui ont rapporté les rabasses l'an dernier.