Pain maison. Smoothie-santé-avec-du-kale. Beignets. Fruits déshydratés. Jus de carotte frais. Chaque projet culinaire a sa machine. Mais où tracer la ligne entre l'achat raisonné et celui qui croupira dans une armoire avant d'être revendu «presque neuf» dans les petites annonces? Nous avons posé la question à des experts et avons trouvé au passage quelques recettes pour dépoussiérer machine à pain et autres presse-panini.

Sur les sites de petites annonces les plus populaires au Québec, des centaines de petits électroménagers changent de mains chaque semaine. Sur le site Kijiji seulement, on trouve plus de 400 mélangeurs et autres robots... souvent avec la mention «peu utilisé» ou «presque neuf». Nous emballons-nous trop facilement pour les appareils de cuisine?

«On a beau avoir la cuisine la mieux équipée au monde, si on n'est pas inspiré, on va toujours finir par manger un grilled cheese», croit Jonathan Garnier, chef exécutif à La Guilde culinaire, à Montréal.

Chaque semaine, La Guilde reçoit des dizaines de cuisiniers amateurs. Ils sont, pour la plupart, les clients idéaux pour les fabricants de petits appareils électriques. Si le chef croit que plusieurs de ces outils de cuisine s'avèrent utiles, il prévient toutefois les consommateurs: «Il faut regarder nos habitudes. Si on aime déjà manger des sandwichs, alors là, un petit gril peut être intéressant. Si on n'aime pas ça plus qu'il faut, eh bien, il se peut bien qu'on l'utilise une ou deux fois seulement.»

N'empêche. L'industrie des petits appareils de cuisine a le vent dans les voiles. Chez Ares, un des plus importants détaillants d'articles de cuisine au Québec, on ne sent aucun signe d'essoufflement chez les cuisiniers amateurs.

«Ça marche fort, confirme Fouad Kejjo, copropriétaire de la chaîne de magasins. Il y a de plus en plus de gens qui veulent faire attention à ce qu'ils mangent. Ils veulent s'assurer qu'il n'y a pas trop de sucre, pas trop de sel, pas de gluten dans leur nourriture... On n'arrête plus de faire des émissions de cuisine à la télé... et les appareils, ça vient souvent avec.»

Il constate auprès de sa clientèle un intérêt particulier pour les mélangeurs Vitamix, les batteurs sur socle, les mini-fours à convection, les sorbetières et (encore et toujours!) les mijoteuses. «Il y a quelques années, les machines à pain étaient populaires, mais ça ralentit. Les gens qui font leur pain vont le faire avec le mélangeur sur socle et le cuire au four.»

Il insiste lui aussi sur les besoins réels de sa clientèle, au-delà des engouements souvent passagers. «Si une cliente ne fait qu'un gâteau de temps en temps, je ne lui recommanderai jamais un batteur sur socle. Ce n'est pas nécessaire!», ajoute-t-il, en spécifiant que dans une cuisine, mieux vaut d'abord investir dans une bonne poêle à frire et un couteau de qualité.

La totale

Tania Lacroix réfléchit tout haut à tous les appareils électriques dont elle dispose dans sa cuisine: «Machine à pain, yaourtière, batteur sur socle, robot culinaire, mélangeur, mixette, mijoteuse... j'en ai pas mal!», énumère-t-elle en riant. Mère à la maison, un quatrième enfant en route, elle précise toutefois qu'elle fait bon usage de chacun de ces outils.

«Je cuisine tout tout tout: les pains à hamburgers, les tortillas, les barres tendres, les vinaigrettes... j'adore cuisiner. Je me sers de mon robot culinaire presque tous les jours.» Soucieuse de son alimentation, elle contrôle ainsi la qualité des ingrédients.

Elle ajoute toutefois qu'ultimement, posséder tous ces appareils ne lui permet pas de gagner du temps. Un piège dans lequel tombent beaucoup de parents pressés, croit-elle. «Ça prend quand même du temps, cuisiner. Pour vraiment économiser du temps, si c'est ce dont on a besoin, il est préférable d'acheter des aliments déjà faits à l'épicerie, dans le fond!»

L'ultime appareil, celui qui manque à sa collection, demeure le (fameux!) mélangeur Vitamix. «Ça broie n'importe quoi, ce truc!», lance-t-elle, enthousiaste.

La modération a meilleur goût?

Sans être farouchement opposée aux petits appareils de cuisine, Marie-Josée Forest estime pour sa part qu'elle peut très bien s'en passer. Et pourtant, elle cuisine. Beaucoup. Elle reçoit des amis plusieurs fois par mois à la maison, mais avec un minimum de matériel.

«Je pense que depuis que je me suis fait mon trousseau, je ne me suis acheté qu'un set de vaisselle chez IKEA», plaisante-t-elle.

Les appareils et les gadgets qu'elle possède lui ont tous été offerts en cadeau. Chaque fois, elle est heureuse de compter sur un nouvel accessoire, mais spontanément, elle n'utilise que les outils de base en cuisine.

«Je trouve tellement qu'on peut tout faire en cuisine avec un couteau, un bol, une bonne poêle!, résume-t-elle. Je ne me souviens pas d'avoir été un jour incapable de faire une recette parce que je n'avais pas de gadget.»

Elle a bien un robot culinaire, qu'elle utilise régulièrement, mais là encore, c'est un don de sa mère. «Il y a un trou dans le bol et je dois mettre mon doigt dessus pour empêcher les dégâts. Je me dis que je vais devoir m'en acheter un autre bientôt... mais il fonctionne encore, alors je pense que je vais mettre mon doigt sur ce trou encore longtemps!»

Mais quel est le secret pour faire la bonne acquisition, et éviter qu'un achat enthousiaste ne soit, en fait, qu'un engouement passager croupissant au fond d'une armoire? Exposer l'appareil au grand jour, croit simplement le chef Jonathan Garnier. «C'est sûr qu'il vaut mieux en avoir moins. Comme ça, on peut placer ces appareils sur le comptoir, et penser à les utiliser régulièrement.»

Et si on partageait?

Il y a quelques mois, Anne-Renaud Deschesne a pensé s'acheter une machine à pain. Incertaine de l'utilité de l'appareil, elle a d'abord emprunté celui que possède la tante de son amoureux. Verdict: elle a détesté.

«Ça m'a coupé tout mon fun! Je me suis rendu compte que mon plaisir, c'est d'avoir les deux mains dans la farine. J'ai compris que ce n'était pas un appareil que j'allais utiliser.»

Adepte de simplicité volontaire, elle s'interroge toujours avant de faire un achat de ce genre. Elle n'est toutefois pas opposée à l'achat de petits appareils électroménagers.

Elle voit plutôt les choses autrement: «Je pense qu'une machine à faire des pâtes serait pratique, parce qu'on en fait souvent. En ce moment, au couteau, c'est loin d'être idéal! Par contre, je réfléchis: peut-être que si on est deux ou trois couples pour l'acheter, le coût serait moins élevé. On n'a qu'à la laisser chez ceux qui habitent dans le coin le plus central, et l'emprunter quand on en a besoin.»

Un principe de partage et de communauté adopté par Pumpipumpe, une organisation suisse. Le concept: la «communauté de partage» vend des autocollants représentant une kyrielle d'objets domestiques (des jouets, des outils, des appareils de cuisine...). Il suffit ensuite pour les acheteurs de les apposer sur leur boîte aux lettres pour annoncer aux voisins quels objets ils sont en mesure de partager avec eux. Résultat: une consommation en baisse, et une vie sociale en hausse. «Même si les voisins ne viennent pas tout de suite sonner à la porte, cela invite à le faire et à réfléchir à notre consommation. En se prêtant certaines choses, on favorise l'interaction au sens plus large et au mieux on fait des liens de confiance avec ses voisins!», explique Sabine Hirsig, membre du groupe à l'origine du projet.

«J'aimerais vraiment que l'on puisse profiter du même service ici!», lance Anne-Renaud. Son souhait pourrait se réaliser, confirme Mme Hirsig. Pumpipumpe travaille actuellement avec un groupe d'étudiants pour exporter le concept à Montréal.

En attendant, toutefois, des propriétaires d'appareils plus onéreux (comme le Vitamix et le déshydrateur) offrent régulièrement sur les sites de petites annonces la location de leur appareil, pour une quinzaine de dollars la journée, question de l'essayer avant d'acheter.