À Modène, en Émilie-Romagne, le pays du prosciutto, du parmesan et du célèbre vinaigre balsamique, si vous voulez commencer une conversation joyeuse et nourrie, il suffit de lancer l'un de ces deux sujets: Gilles Villeneuve ou la sauce ragù, celle qu'on appelle ici «la bolognaise».

De Villeneuve, on vous dira qu'il fut l'un des plus grands pilotes de l'histoire de Ferrari, fier constructeur modénais, et on se lamentera sur la mort infiniment précoce du grand coureur de Formule 1 québécois.

Et de la sauce ragù, on vous entretiendra pendant de longues minutes, sinon des heures, sur l'art de la préparer parfaitement.

«Ça ne prend que de la chair à saucisse!», me lancera un voisin de table, dans un repas où je ne connaissais au départ pas un chat, avant que tous se mettent à débattre en choeur des vertus de la crème ou du lait dans cette sauce.

«Jamais, jamais d'ail», me dira un chauffeur de taxi, pressé de corriger cette erreur monumentale - à ses yeux - que commettent les Nord-Américains. «Il ne faut que de l'oignon.»

«Ça prend à peine un peu de tomate.» «N'ayez pas peur de bien la rosir.» «Tout est dans la lenteur du mijoté.»

Peu importe à qui vous parlez en Émilie-Romagne, de Bologne à Imola, en passant par Faenza ou Ferrara, votre interlocuteur aura son opinion. «Jamais, jamais ne servez le ragù avec des spaghettis! Voyons! Ça se mange avec des tagliatelles!»

Donc, en Émilie-Romagne, cette région au coeur de l'Italie traversée par le Po, patrie du prosciutto, du parmesan, du vinaigre balsamique et de la mortadelle - la version originale du «baloney», le saucisson bolognais - , dans cette région où se trouvent Parme, Bologne et Modène, on ne mange pas de spaghettis à la bolognaise.

On mange des tagliatelles al ragù.

Et «ragù» se prononce «ragou», comme dans ragoût de viandes hachées variées, mijoté longuement, le tout servi sur des tagliatelles, de longues pâtes plates que l'on peut acheter en boîte ou encore mieux, que l'on prépare soi-même, ce qui est beaucoup moins long et difficile qu'on peut le croire et ne nécessite aucune machine spéciale.

«La clé d'un bon ragoût est de le faire mijoter longtemps», explique Marta Pulini, chef de la Franschetta 58, table conviviale de Modène et petite soeur de la très célèbre et très étoilée Osteria Francescana du chef Massimo Bottura.

Marta, qui est une mamma atypique, ex-New-Yorkaise, ex-marathonienne, prépare sa sauce avec très peu de tomates, surtout de la viande, et un peu de lait pour arrondir les pointes acides et lier les saveurs. «Ce n'est pas comme la sauce nord-américaine avec beaucoup de tomates et de jus de tomate», ajoute-t-elle. Le ragù est très peu liquide.

Certaines recettes, comme celle de Massimo Bottura, recommandent d'ailleurs de terminer la cuisson des pâtes dans la sauce afin de s'assurer que ces dernières boivent le reste du jus.

«L'autre élément important est de toujours, toujours commencer par un soffrito», explique-t-elle. Le soffrito, c'est la mirepoix, le mélange de céleri, d'oignon et de carottes en mini-dés que l'on fait revenir dans du beurre ou du saindoux (ou de l'huile d'olive, mais il n'y a pas d'oliviers en Émilie-Romagne, la cuisine traditionnelle est au beurre...).

Origan? Laurier? Pas dans les recettes traditionnelles.

On ajoute du vin blanc pour permettre aux viandes de mijoter. Parfois un peu de bouillon.

Les viandes hachées utilisées varient. On y met parfois du veau, parfois uniquement du porc, presque toujours de la chair à saucisse. Pancetta et prosciutto font aussi souvent partie de la combinaison gagnante. Certains affirment que le bon ragù contient de petits morceaux de foie de poulet.

Évidemment, la recette ultime, celle de Bottura, celle qui lui a ouvert la voie vers la première de ses trois étoiles Michelin, réclame de la joue de boeuf, ainsi que de la langue et de la queue de veau... Mais Giulia Vignoli, l'une des grands-mamans gâteau qui m'a montré à faire le ragù, utilise plutôt du boeuf haché maigre ordinaire. (Et du concentré de tomates en tube, puis du vin en boîte.)

Et c'est ça, la beauté du ragù. Il y en a à toutes les sauces: pour tous les goûts et tous les budgets. Tant que ça mijote doucement, embaumant toute la maison de parfums d'automne réconfortants.

La seule clé, dira Giulia: «De la patience et de la passion.»

Mangiamo.

Photo Marie-Claude Lortie, La Presse