On les a presque oubliées, mais quand certains remettent la main dessus, c'est une grappe de souvenirs d'enfance qui surgit. Petit rappel pour faire bon usage des groseilles et gadelles.

«Vous faites des heureux!» Cette remarque, Lyse Métayer l'entend en rafale. Il est vrai que la dame vend du bonheur; du bonheur en grappes. Les visiteurs repartent de sa ferme d'autocueillette avec, au bras, des paniers débordant de groseilles et de gadelles, dont l'acidité ravive leurs souvenirs d'enfance.

«Quand on reçoit des Polonais ou des Russes, mais aussi certains Québécois, ils semblent enchantés de retrouver ces petits fruits», rapporte la propriétaire de la Ferme Métayer, à Sainte-Anne-des-Plaines. L'auteur de ces lignes doit lui-même avouer que lorsqu'il est tombé par hasard sur un casseau de groseilles au marché Jean-Talon, il a éprouvé la même sensation que celle procurée par les retrouvailles avec un vieux jouet de gamin que l'on pensait perdu.

Surtout que dans la grande famille des petits fruits, dans l'ombre des fraises, framboises, mûres et bleuets, la groseille occupe une place singulière, un peu en retrait.

Un statut marginal qu'elle revêt également en cuisine - on confessera volontiers qu'il ne s'agit pas du premier ingrédient auquel on pense pour garnir un muffin.

D'instinct, on songe soudain à son potentiel en pâtisserie, convaincu que l'on gagnerait à l'inviter et lui ouvrir la porte (du four) plus souvent.

«La groseille est une baie très sympathique à utiliser, souligne Jonathan Garnier, chef copropriétaire de La Guilde culinaire. On peut les utiliser crues pour coiffer une mini-tartelette, comme on peut les faire cuire dans un petit sirop aux épices au préalable. De plus, elles sont très décoratives.»

Il propose également de l'employer «façon bleuets», à insérer dans des muffins, par exemple. «Et pourquoi ne pas tenter une panna cotta ou une crème brûlée aux groseilles?», suggère-t-il.

Lyse Métayer abonde dans son sens: «Beaucoup de nos clients l'utilisent pour remplacer la canneberge dans leurs recettes», révèle-t-elle.

Complètement gelée

Bien sûr, impossible d'évoquer les groseilles sans parler de confitures. Déjà émoustillantes seules, elles permettent d'envisager de nombreux tandems. Avec des abricots, c'est le gros lot; en gelée avec des poires, c'est du grand art. «On va aller chercher des contrastes. En règle générale, l'association avec des fruits jaunes est une bonne solution», explique M. Garnier.

En revanche, gare aux cohabitations avec les cousins aux épaules trop carrées: fraises, framboises, mûres et autres petits fruits risquent d'écraser le goût subtil de la groseille.

Suggestion originale du chef de La Guilde, le thym créerait une harmonie remarquable avec la subtile baie.

Et pour faire honneur au caractère rafraîchissant de la belle, il suffit de mixer jus, crème fraîche et sucre pour obtenir un sorbet qui n'aura pas à rougir de ses confrères fruités.

En rester «bouche baie»

Les Anglais ont pris l'habitude de faire appel à la baie rouge pour divers plats salés, une voie qui mérite largement d'être considérée.

Mais gardez à l'esprit son rôle dans l'équilibre de la recette, préconise Jonathan Garnier: «Pour un magret de canard, on a déjà le gras et on va chercher plus de sucré. J'envisagerais une sauce de groseilles infusées avec un fond de veau, du thym et des échalotes. Avec un rôti de boeuf, je rajouterais une poignée de baies vers la fin de la cuisson, afin de rajuster l'acidité», recommande-t-il en précisant que ce petit fruit s'acoquine bien avec les viandes blanches, leur conférant une saveur plus mordante. Sans oublier les poissons, dont le fameux maquereau aux groseilles.

Il faudra cependant veiller à miser sur la bonne variété, certaines étant plus acides (comme les gadelles rouges), d'autres, plus sucrées (ex: la groseille à maquereau, ou encore la gadelle blanche).

Estivale mais imprévisible

Groseilliers riment avec été. Bien acclimatée sous nos latitudes (les pays d'Europe de l'Est en sont par ailleurs d'importants producteurs), la délicate baie peut être abondante, mais sa maturation reste plutôt aléatoire. Au Québec, généralement, elle se récolte en juillet et en août, mais la durée de la pleine saison varie d'une année à l'autre. Aussi ne court-elle pas les étals: restez donc à l'affût pour mettre la main dessus.

Aux dernières nouvelles, des quantités raisonnables avaient été aperçues chez plusieurs commerçants des marchés Jean-Talon et Atwater (compter 4$ environ pour un petit casseau), mais certains d'entre eux ont prévenu que la saison entamait sa pente descendante.

Enfin, l'autocueillette de la baie est peu courante, mais possible. La Ferme Métayer de Sainte-Anne-des-Plaines est d'ailleurs l'un des rares endroits de la province où on peut la pratiquer. «Nous n'avons pas beaucoup d'arbustes, ça part vraiment très vite!», remarque la propriétaire.

Petit conseil d'ami pour esquiver les pénuries? Les groseilles, c'est comme les souvenirs d'enfance: ça se cultive. Alors si vous avez un petit lopin de libre...

Magret de canard sauce aux groseilles et au thym

Copropriétaire du restaurant Lili Co., rue de Mentana à Montréal, Catherine Draws a publié cette recette sur son blogue Obsessions gourmandes. À essayer dès qu'on déniche un casseau de gadelles et deux magrets...

Pour 2 personnes

INGRÉDIENTS

• 2 beaux magrets de canard dodus

• 1 échalote française ciselée finement

• 2 c. à table de confiture de groseilles*

• 1 petit verre de vin blanc

• 1 c. à thé de thym frais effeuillé

• Fleur de sel de Guérande

• Poivre du moulin



PRÉPARATION


1. Entaillez le gras des magrets en quadrillé, sans atteindre la chair, puis salez et poivrez les dessous des magrets (côté chair). Laissez-les reposer à la température de la pièce.

2. Préchauffez le four à 350ºF/180ºC.

3. Déposez les magrets côté gras dans une poêle antiadhésive avant de la faire chauffer, puis montez doucement le feu jusqu'à ce qu'il soit à température moyenne-élevée.

4. Rôtissez bien le gras du canard pour qu'il soit doré, puis retournez les magrets. Laissez-les cuire une minute.

5. Transférez-les sur une plaque de cuisson et enfournez-les pour environ 10 minutes, tout dépendant de leur épaisseur: le but est d'avoir une cuisson saignante.

6. Pour la sauce, pendant que les magrets finissent de cuire au four, retirez l'excédent de gras de la poêle et remettez-la sur le feu. Faites-y revenir l'échalote, puis déglacez avec le vin blanc. Ajoutez la confiture de groseilles, le thym, salez et poivrez. Laissez réduire doucement.

7. Quand les magrets sont cuits à la perfection, déposez-les sur une planche à découper et laissez-les reposer 5 minutes. Coupez-les, à l'aide d'un couteau bien affilé, en tranches d'environ 1,5 cm d'épaisseur. Déposez les tranches dans une assiette de service et nappez-les de sauce aux groseilles.

* Pour préparer la confiture, lavez les fruits, égrappez-les, puis faites-les cuire avec un peu d'eau et, au goût, un trait de jus de citron, ainsi que l'équivalent du poids des fruits en sucre (ou un peu moins). Laissez frémir (pas de gros bouillons) une dizaine de minutes, versez le tout dans des pots de verre et laissez refroidir d'abord sur le comptoir, puis au frigo pendant une nuit, pour que la confiture prenne bien.

Lili Co. 4650, rue de Mentana, 514 507-7278, www.facebook.com/restaurantlilico

Blogue Obsessions gourmandes www.obsessionsgourmandes.com

Photo fournie par Catherine Draws