Vingt-cinq cochons s'ébattent dans des cases ouvertes avec vue sur ballots de paille d'une petite ferme de Woodward, dans l'Iowa. D'une couleur rouge-brique, ils sont gras, ont l'air en pleine forme et sont nourris pour s'harmoniser au mieux avec... le whisky.

Les États-Unis n'ont pas créé un nouveau label «porc élevé à l'alcool». Une équipe de la distillerie artisanale Templeton Rye a juste voulu tenter l'expérience, une façon pour elle de mieux faire connaître son breuvage.

L'idée n'est pas que les bêtes reçoivent tous les jours une rasade de l'élixir. Mais leur alimentation, conçue pour l'occasion par un spécialiste en nutrition porcine, comprend 20% de moût de seigle. C'est le même que celui utilisé pour la fabrication du whisky Templeton Rye, avant la fermentation.

«Ça sent très bon, presque comme un bonbon», assure Scott Bush, créateur de la distillerie.

Sitôt servis, les cochons se ruent sur le mélange: ils grognent, mangent et re-grognent.

Ils s'approchent de leur poids idéal pour la consommation selon Scott Bush: 95 kilos. Plus que quelques semaines avant l'abattoir.

«Quel effet le moût de seigle aura sur leur goût, on ne sait pas encore», avoue-t-il en couvant des yeux la fournée de porcs.

C'est la race pure Duroc, connue pour sa résistance, sa musculature et la qualité de sa viande, qui a été choisie.

La possibilité qu'un doux fumet rappelant les arômes du whisky s'échappe des jambons, échines ou travers de côtes, fait en tout cas saliver de nombreux amateurs de porcs: la distillerie a reçu quelque 200 demandes, de quatre pays différents. Certains prétendants ont envoyé une longue lettre de motivation.

699 dollars, «tête et pieds compris» 

Les heureux élus recevront la bête dans les semaines à venir, pour 699 dollars «tête et pieds compris», indique Scott Bush.

Aron Mackevicius, chef au restaurant 7M Grill à Omaha, dans le Nebraska (centre), en fait partie. Avec une grande excitation, il décrit comment il compte découper le porc et composer un menu spécial, de l'entrée au dessert. «Ma famille a une pâtisserie dont l'une des spécialités est le 'bacon bun'», un petit pain légèrement sucré fourré à la viande, justifie-t-il.

«On espère que la viande aura un léger goût de seigle», ajoute-t-il en soulignant la chance d'avoir un produit «aussi unique». «Quand j'ai entendu parler du projet pour la première fois, j'ai été enthousiasmé par une telle audace, c'est un concept très intrigant».

L'idée est venue à l'équipe de la distillerie un soir, autour de quelques verres de Templeton Rye.

«On est dans l'Iowa, un État où les porcs surpassent en nombre les humains», plaisante Scott Bush. «Mais on voyage aussi beaucoup dans des événements gastro-culinaires à travers le pays et pour l'instant ce monde reste dominé par le vin», ajoute-t-il plus sérieusement.

«C'est en train de changer, notamment avec l'essor du whisky. Et on s'est dit qu'on pourrait demander à des chefs de cuisiner les porcs en les associant à des cocktails à base de notre whisky».

La boisson qu'ils vendent est basée sur la recette utilisée par les distillateurs clandestins du petit village de Templeton pendant la Prohibition, mise en place aux États-Unis en 1920.

Le breuvage était la boisson préférée du bandit Al Capone, assure Scott Bush. «On n'a pas de preuves écrites directes, vu que tout se faisait illégalement à l'époque, mais beaucoup de témoignages oraux», dont celui de la petite-nièce du gangster. «Il faisait principalement de la contrebande de whisky canadien mais c'était le Templeton Rye qu'il partageait avec ses amis».

C'est cet héritage que le distillateur veut faire partager, y compris par l'élevage de porcs. «On ne gagne pas d'argent avec ce projet mais pour nous c'est avant tout une expérimentation», dit-il en n'écartant pas l'idée de la renouveler.