Contrairement à la croyance populaire, les plats de pâtes ont orné les tables québécoises bien avant l'arrivée des premiers immigrants italiens ou chinois. Mais les recettes venues avec les premiers colons français, puis adaptées par leurs descendantes, sont peu à peu tombées dans l'oubli. Jusqu'à aujourd'hui!

Catalognes, babiches, glissant(e)s et bourdings! Nos ancêtres ne manquaient pas d'imagination quand venait le temps de nommer leurs pâtes.

Des fouilles archéologiques dans des grottes des Vosges, en France, ont montré que les pâtes cuites dans l'eau existeraient depuis 8000 ans. Pas étonnant, donc, que des recettes de pâtes soient arrivées ici avec les premiers colons. Vous trouverez pourtant bien peu d'information au sujet des pâtes québécoises, sinon dans les campagnes où certaines gardiennes du patrimoine culinaire préparent encore les recettes de leur grand-mère.

C'est le cas d'Isabelle Ayotte, mère de trois enfants qui habite la petite municipalité de Lac-à-la-Tortue, en Mauricie. Sa spécialité: le ragoût de pelotes (ou ragoût de poutines, si on veut faire plus chic!), qu'elle sert dans le temps des Fêtes. Pour le préparer, on fait cuire dans un bouillon de poulet des pâtes farcies d'un mélange qui s'apparente aux cretons ou à la viande à tourtière. Qui plus est, au lieu d'une simple pâte composée de farine et d'oeufs, Mme Ayotte utilise de la pâte à tarte qui contient une livre entière de Crisco!

Mais la fierté de perpétuer une fois par an ce plat familial qui remonte au moins à son arrière-grand-mère l'emporte sur les préoccupations diététiques. «L'année dernière, c'est ma fille de 13 ans qui a préparé les pelotes», lance-t-elle, heureuse de voir son ragoût survivre à une autre génération. On peut trouver la recette sur le site Recettes du Québec (recettes.qc.ca).

Certes, on ne mange pas du ragoût de pelotes tous les jours! Mais la recette de base des pâtes alimentaires québécoises, comme nos ancêtres les préparaient, est quasi identique à celle des Italiens: farine, sel, oeufs, huile et eau au besoin.

La catalogne est sans doute l'une des coupes de pâte typiquement québécoise qui s'adapte le mieux à notre mode de vie actuel. C'est une pâte longue très polyvalente, qui rappelle les tagliatelles, que l'on mange aussi bien avec une sauce blanche qu'avec une sauce tomate.

En Outaouais, on prépare des «glissants» (ou «glissantes»). C'est une pâte comme pour un biscuit de poudre à pâte que l'on abaisse et que l'on coupe en rectangles, nous explique Gaétan Tessier, chef enseignant et copropriétaire de la chocolaterie Chocomotive, à Montebello. Ces rectangles sont ensuite «glissés» dans un bouilli de boeuf vers la fin de la cuisson.

Les pâtes farcies, quant à elles, pourraient aujourd'hui être ajoutées aux soupes plutôt qu'aux ragoûts, ou bien cuites dans l'eau et servies en accompagnement.

Voilà donc quelques versions plus digestes de recettes patrimoniales qu'il vaudrait la peine de ramener au menu.

L'arrivée des macaronis

Avec les grandes vagues d'immigration que la construction des chemins de fer a lancées au XIXe siècle, notre répertoire de pâtes s'est diversifié. Les Italiens faisaient venir des pâtes sèches d'Italie et des États-Unis.

Le macaroni long était le plus commun. On le servait avec les viandes et les poissons. Puis, dans la tradition québécoise, éventuellement, avec des restes de viande (le fameux macaroni à la viande). En outre, les Italiens étaient très présents dans les auberges et les restaurants de l'époque, apprend-on dans le livre Goûter à l'histoire, des historiens Marc Desloges et Yvon Lafrance.

Les familles d'origine allemande et slave d'Abitibi, installées dans cette région pour travailler dans les mines après la Seconde Guerre mondiale, faisaient quant à elles des spätzle, ainsi que deux types de pâtes qui ressemblent aux gnocchis italiens, les galushka et halusky. Ils étaient également présents dans les grands chantiers du Saguenay, de la Côte-Nord et de la Mauricie.

Bref, avant les spaghettis, les linguines et les lasagnes, il y a eu les babiches, les catalognes et les glissants, qui sont malheureusement disparus de notre vocabulaire... et de nos assiettes. Vivement un bon souper de sacoches cet automne!

Si vous avez des recettes de pâtes ancestrales à partager, n'hésitez pas à contacter notre journaliste par courriel: edumas@lapresse.ca.

Recette de pâtes maison

INGRÉDIENTS

> 500 ml de farine tout usage non blanchie ou de farine à pain

> 5 ml de sel

> 2 oeufs extra-gros

> 15 ml (1 c. à soupe) d'huile végétale

> 15 ml (1 c. à soupe) d'eau, si nécessaire

MÉTHODE

1. Placer la farine dans un bol moyen. Incorporer le sel.

2. Faire un puits au centre et y mettre les oeufs battus et l'huile.

3. Avec les mains, intégrer les oeufs à la pâte et ajouter l'eau si nécessaire.

4. Travailler la pâte à la main pendant au moins 15 minutes pour lui permettre de devenir complètement homogène. On sent que la pâte est prête lorsqu'il n'y a plus aucun grumeau.

5. Séparer la pâte en quatre boules et les envelopper d'un papier ciré ou d'une pellicule plastique et les laisser reposer pendant 1 heure sur le comptoir.

6. Sur une surface farinée, rouler les boules de pâte au rouleau, très mince, ou les amincir à la machine à pâtes alimentaires italiennes.

7. Tailler les pâtes dans la forme désirée.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Catalognes aux tomates du Saguenay

(recette simplissime fournie par l'historien culinaire Michel Lambert)

Donne de 6 à 8 portions

INGRÉDIENTS

> Une recette de catalognes

> Un morceau de lard salé entrelardé d'environ 150 g

> Un gros oignon blanc en fines rondelles

> Une grosse boîte de tomates en cubes

> 1 c. à table de persil frais haché

> 1 c. à table de sarriette fraîche hachée

> Poivre et sel

MÉTHODE

1. Couper le lard en fines tranches et le dessaler un peu en le faisant cuire à l'eau frémissante pendant environ 10 minutes. Éponger. Faire dorer les tranches dans une poêle chaude.

2. Retirer les tranches de lard et réserver sur du papier absorbant. Garder l'équivalent de 2 c. à table de gras dans le fond de la poêle et faire sauter les rondelles d'oignons à feu moyen. On veut qu'elles colorent un peu.

3. Pendant ce temps, cuire les pâtes dans beaucoup d'eau bouillante salée pendant au moins 5 minutes.

4. Ajouter la boîte de tomates aux oignons et réchauffer pendant environ 5 minutes. Poivrer généreusement.

5. Émietter le lard et en ajouter la moitié à la sauce.

6. Ajouter les pâtes cuites et égouttées à la sauce. Vérifier l'assaisonnement.

7. Servir dans un grand plat à partager ou dans des assiettes individuelles avec le reste du lard émietté et les herbes fraîches.

Petit lexique basé sur les recherches de l'historien culinaire Michel Lambert

Mouchoirs, palettes

Carrés de pâte de deux à dix centimètres, selon les familles.

Sacoches

Pâtes farcies de viande en forme d'aumônière ou de demi-lunes.

Riz de pâte

Pâtes longues qui ressemblent  à des spaghettis.

Babiches

Pâtes longues qui ressemblent à des linguines.

Catalognes

Pâtes taillées comme les couvertures ou les tapis artisanaux qu'on faisait autrefois avec des restes de tissus. Le résultat est une longue bande de pâte d'un centimètre de large liée à la précédente par l'une des extrémités.

Glissant(e)s

Plus larges que les babiches et les catalognes, elles peuvent ressembler à des grosses nouilles aux oeufs ou des lasagnes. Selon les familles, ces pâtes peuvent faire de 5 cm de largeur sur 10 à 12 cm de long.

Pelotes, poutines, nounes (oui, nounes!)

Pâtes farcies de viande ou de poisson en forme de boule de la taille d'une petite orange.

Bourdings

Semblable aux pelotes, mais de la taille d'une boulette de viande.