Lorsque le groupe très select de chefs de l'événement gastronomique conceptuel Cook It Raw s'est retrouvé dans le nord de la Pologne, l'été dernier, on a pu voir défiler bon nombre de jeunes loups tatoués, artistes tourmentés, créateurs cérébraux perdus dans leurs réflexions... Et puis, et puis il y avait Mauro Colagreco, sourire en permanence, plutôt discret, hyper facile d'accès. «Ça va? Tutto beneQue tal

Argentin d'origine italienne et basque, installé depuis 13 ans dans le sud de la France au restaurant Mirazur de Menton, nouvellement marié à une Brésilienne, Colagreco est un Latin aux mille origines et influences. «Beautiful métèque», l'a surnommé le magazine français Le Nouvel Observateur. «C'est un peu compliqué quand le Brésil et l'Argentine jouent au football, répond-il en riant lorsqu'on lui parle de sa vie multiculturelle. Mais sinon, ça va...»

Mauro Colgreco, né à Buenos Aires en 1976, est, avec Francis Mallmann, le chef le plus important parmi les invités du volet gastronomique du festival Montréal en lumière cette année. Les 25 et 26 février, il cuisinera à la Maison Boulud du Ritz. Son restaurant, le Mirazur, à un jet de pierre de la frontière italienne, est un double étoilé Michelin et numéro 24 sur la liste des 50 meilleurs restaurants du monde. Sa simple présence à Cook It Raw, l'été dernier, aux côtés des Albert Adria et René Redzepi de ce monde, en dit long sur son statut au sein de l'avant-garde.

L'an dernier, le New York Times a dit du Mirazur qu'il faisait partie de ces restaurants qui valaient le voyage en avion.

Bref, Colagreco, qu'on a joint par téléphone alors qu'il était de passage à Abu Dhabi, fait partie de ceux qui façonnent le chemin que prend la cuisine actuelle.

«Il est de ceux qui font un travail à la fois brut et élégant», résume la journaliste gastronomique française Geneviève Pardo. «Il est créatif sans être extrémiste, très près de la nature», ajoute Anna Morelli, rédactrice en chef du magazine gastronomique italien Cook_Inc.

Enfance et saveurs

Colagreco, lui, a un peu de difficulté à décrire sa cuisine comme si, toujours hyper humble, il préférait la laisser parler toute seule. «J'essaie de me rapprocher de mes souvenirs d'enfance, c'est sûr», dit-il, évoquant des vacances familiales chez sa grand-mère d'origine basque et son grand-père d'origine italienne, en Argentine, à 400 km de la métropole. «Je suis très attaché à des sentiments, à une cuisine du coeur.»

Mais dans l'assiette, le résultat est fignolé, précis. On est loin des plats de pâtes à partager, goulûment. Les terroirs sont exprimés de façon simple, mais les techniques sont audacieuses et les présentations, minutieusement épurées. À Cook It Raw, le chef a préparé un plat qu'il a baptisé «Bambi dans les bois», un tartare de venaison accompagné de fruits rouges sauvages, d'herbes des champs, de cèpes, de crème double. Le tout est présenté comme un petit tableau.

Colagreco aime les gouttes colorées, les ingrédients éparpillés. Mais tout se combine et forme un ensemble cohérent, que ce soit une asperge blanche grillée avec mousseline de noisette, absinthe et fraise ou un carpaccio de gambas avec basilic et huile d'olive au citron.

Tout à 50 km

Fruits de mer, herbes, agrumes... La cuisine signée Colagreco se colle aux arrivages. Et sur les rives de la Méditerranée, vous comprendrez qu'il est choyé. Les ingrédients sont remplis du soleil et de la chaleur de ces terroirs arides, mais parfumés. «Il faudrait vraiment ne pas avoir beaucoup d'imagination pour cuisiner avec autre chose que les produits de la région», note-t-il.

Sur la Côte d'Azur, il y a tant de fruits, de légumes, de poissons et fruits de mer, de grains, de fleurs, de miels, de fromages... «Je trouve pratiquement tout à moins de 50 km. Il y a des artisans, j'ai vraiment de la chance.» Il ne sait pas encore précisément ce qu'il cuisinera à Montréal et ne veut pas vendre la mèche. «Nous étudions quelques pistes», affirme-t-il.

Colagreco dit qu'il a toujours beaucoup aimé manger, mais que la vocation de cuisinier, elle, est venue tard. Il a étudié les sciences économiques à l'université à Buenos Aires et pensait devenir comptable, comme son père, quand il s'est rendu compte qu'il était plutôt intéressé par les fourneaux. «Et c'est mon père le premier qui m'a appuyé», dit-il.

Après avoir roulé sa bosse en Argentine et appris son métier, il est parti en France, il y a 13 ans, désireux d'en apprendre plus long sur son métier. Jamais il ne pensait qu'après avoir travaillé avec Alain Passard et Bernard Loiseau, notamment, il deviendrait un jour chef propriétaire d'un double étoilé avec vue sur la mer, son rêve!

«Je suis tombé sur ce restaurant un peu par hasard, raconte-t-il. Je cherchais, mais je ne pensais pas venir ici. J'avais travaillé en Bourgogne, à Paris, mais jamais ici.»

La Côte d'Azur est bien différente de l'Argentine, mais dans son lieu suspendu, il renoue avec ses origines. À deux pas, il y a cette Italie qui a tant influencé son enfance en Amérique du Sud et dont il parle la langue couramment. «Je fais un peu le même chemin que mes grands-parents, mais à l'envers.»

Mauro Colagreco à la Maison Boulud, les 25 et 26 février. Info: 514-842-4224