Dans cette école de sushis de Tokyo, mieux vaut se tenir à carreau.

«Des fois je pleure... mais le soir, à la maison». Bienvenue à l'une des rares écoles de sushis à Tokyo, où ça ne rigole pas tous les jours.

Pour 6000 dollars environ pour trois mois, on peut suivre des cours intensifs de l'école Sushi Zanmaï, une très célèbre chaîne de restaurants de sushi de la capitale japonaise.

Une formation à la dure au bout de laquelle les plus doués passeront deux ans d'apprentissage dans un établissement du groupe. Et pendant toute cette période, ils ne seront que de «petites mains».

Kazuki Shimoyama, le professeur qui vient de réaliser devant une dizaine d'élèves collés un plateau de sushis en deux temps trois mouvements, douche les espoirs des plus impatients: «pour les bons, il faudra deux ans minimum avant de pouvoir faire ça, quatre pour les plus lents».

De quoi décourager ceux qui descendent pour la première fois l'escalier pour accéder en sous-sol à cette école de patience qui accueille deux sessions de 20 étudiants par an.

La «salle de classe»: un univers d'inox, de couteaux tranchants comme des lames de rasoir, de néons blafards, de planches à découper... À mi-chemin entre la cuisine de réfectoire et une morgue sinistre. Tout le monde travaille en silence. Blouse blanche, cravate, mains gantées.

Avant d'arriver au stade de la confection des sushis proprement dite, les novices doivent apprendre à apprêter poissons et coquillages, à les laver et les couper.

Les mains sévèrement croisées dans le dos, trois «profs» regardent en silence ces débutants qui s'escriment maladroitement, face à face, penchés sur leur paillasse en inox.

On n'entend que la pointe du couteau racler l'arête centrale, le son mat des coquillages remués dans des seaux, les filets d'eau qui rincent planches à découper et lames.

L'un dissèque un carrelet, l'autre «torture» un akagaï, sorte de gros bivalve sanguinolent qui finira sa carrière de façon beaucoup plus esthétique, une fois transformé en sushi.

«C'est chirurgical»

Comme un «carabin» (étudiant en médecine) qui fait sa première dissection, Tetsuya Sakurai, la quarantaine joufflue, peine à lever des filets. Il est vouté sur la bête, anxieux. Silence de mort. On entendrait la moindre goutte de sueur tomber sur l'inox dans un fracas épouvantable. Il sait que le maître est juste derrière lui. Soudain le prof lâche quelques mots. L'index accusateur pointe un endroit précis du poisson, le verbe est sec. Il reste un bout de peau! c'est mal coupé!

«C'est très dur. Je m'entraîne à l'école chaque jour. La découpe du poisson, c'est chirurgical. Retirer les entrailles de ces coquillages proprement, par exemple, c'est un vrai casse-tête», raconte Tetsuya Sakurai, depuis un mois à l'école.

«Pour couper le filet dans la longueur, il faut bien tirer sur la queue tout en faisant glisser le couteau bien à plat. Vous me suivez?» «OUI!»

«Ensuite vous coupez chaque morceau en biais, et découpez un morceau un peu plus gros au niveau de la queue. Compris?» «OUI!».

Compris, enfin pas vraiment pour tout le monde: «C'est comme ça que tu coupes ton maquereau? Ça ne ressemble à rien, recommence!», tonne le prof sur un Shugenori Yamanaka tétanisé.

Finalement le «close-up» de Kazuki Shimoyama commence, tout en expliquant comme il va procéder.

Dans la main gauche, la petite tranche de poisson ou de coquillage est étalée, presque installée dans la paume. L'index droit prélève d'un geste sec et précis une petite quantité de wasabi dans un bol, juste ce qu'il faut, et la dépose sur le poisson. La main droite a façonné une boulette de riz qui «atterrit» sur le poisson. Commence alors un ballet millimétré et rapide. Les doigts se plient, se déplient, les paumes se lient en une complexe rotation, tournent, pivotent. Et voilà.

«Wakarimashitaka?» (Vous avez compris ?) Une rafale de «Haï!» (oui!) part des élèves.

Presque militaire

Les travaux pratiques ne seront pas à la hauteur des espérances. Pas assez de riz, une boulette à la forme bizarre, trop de wasabi...

«Ça a l'air facile comme ça, mais c'est super difficile de former les boulettes. Le professeur fait ça comme un maestro, mais moi, c'est beaucoup plus maladroit pour le moment», avoue Shugenori Yamanaka, un jeune élève.

«Il me reste deux mois. Alors je m'entraîne même le soir chez moi. Surtout pour ces fichus akagai, je n'y arrive pas du tout. Mais j'y arriverai», confie Tetsuya Sakurai. Après vingt ans comme comptable aux États-Unis et en Angleterre, il rêve d'ouvrir un sushi-bar, «en Asie, au Japon, pourquoi pas en France...».

Si tout se passe bien, les élèves reçoivent un diplôme de niveau 5 au bout de trois mois (le niveau 1 est le plus élevé). Après 2 ans dans un restaurant, «ils peuvent prétendre au niveau 4», explique Kazuki Shimoyama.

«Ils gagnent en vitesse et doivent s'efforcer de réaliser les sushis les plus beaux possible. Il faut qu'ils s'y donnent corps et âme. Et qu'ils gardent toujours le sourire pour les clients».

Pour le sourire, ce n'est pas encore ça pour Tetsuya, l'ancien comptable qui avoue pleurer quelquefois le soir: «Mon professeur est un peu agressif. Il enseigne à la japonaise, c'est presque militaire! C'est différent de l'enseignement à l'occidentale, où on te félicite quand tu fais bien.

Le prof, lui, fait le modeste derrière un énigmatique sourire. «J'ai fait des sushis pendant 29 ans, et pourtant je suis toujours en apprentissage.