Certains suggèrent que la boulette serait la plus ancestrale des traditions culinaires, qu'elle témoignerait d'un moment de raffinement dans la confection des plats cuisinés. C'est du moins l'hypothèse défendue par Michèle Stroun dans son Histoire de boulettes du néolithique à nos jours, ouvrage dans lequel elle se lance en quête du commencement, de la naissance de la boulette originelle, mère de toutes les autres.

C'est dans le nord de l'Inde, dans le Penjab, 4000 ans avant notre ère, que Michèle Stroun se laisse aller à quelques spéculations archéologiques. Là-haut, on a trouvé les vestiges de deux grandes cités disparues, Harappa et Mohenjo Daro. Des civilisations prospères et avancées, qui possédaient, entre autres, des cuisines dans lesquelles on a trouvé des ustensiles conçus pour faire à manger: poêles en cuivre, vaisselles et plats, couteaux, mortiers.

Les recherches ont démontré qu'on mangeait de la viande attendrie au pilon, cuite dans l'huile de sésame et assaisonnée de moutarde, de curcuma et de gingembre. Si les traces d'épices ont pu être dépistées, c'est uniquement parce qu'elles avaient été incorporées au mélange. Faut-il y voir le premier ancêtre de la boulette? Les réflexions de Stroun mènent à cette conclusion. Si elles s'avèrent justes, la boulette serait ni plus ni moins une «invention» contemporaine de celle de la roue.

Selon Pierre-Brice Lebrun, auteur d'un rigolo Petit traité de la boulette, sa naissance croiserait plutôt, à la même époque, une découverte autrement historique: celle des épices.

On se trouve dans le sud-ouest de l'Inde cette fois, sur la côte de Malabar. La légende raconte qu'un pêcheur aurait eu l'idée de cueillir quelques grains de poivre pour en saupoudrer son riz et ainsi en améliorer le goût. Ce serait le point zéro de l'histoire des épices. Les baguettes, cuillères et fourchettes mettront encore quelques siècles avant d'être mises au point; aussi Lebrun imagine-t-il son pêcheur modelant avec ses doigts des petits tas faciles à consommer, avant de n'en faire qu'une bouchée...

Il faut se transporter dans la Rome antique pour trouver la première mention de la boulette dans un livre de recettes, le De re coquinaria d'Apicius, rédigé en latin vulgaire, dont la dernière version date du IVe siècle. On y apprend notamment que les Romains étaient experts dans la préparation des saucisses, hachis, quenelles, croquettes et autres... boulettes, auxquelles le deuxième chapitre est consacré. On y détaille des recettes simples: boulettes de grosses crevettes, boulettes à la brousse de brebis. D'autres légèrement plus surprenantes, comme ces boulettes à la vulve de truie, aromatisées de poireaux, de poivre, de pignons de pin et de brins d'aneth, ou celles composées de filets de paon, de mie de pain trempée dans le vin rouge et de myrtilles.

On raconte également que pendant l'Inquisition, pour piéger les juifs qui se déclaraient convertis, des informateurs servaient des albóndigas à base de viande de porc. Lorsque l'hôte annonçait la composition du plat, ceux qui refusaient ou recrachaient leur bouchée, ce qui trahissait leur véritable allégeance, étaient arrêtés sur-le-champ.

Depuis, les boulettes ont étendu leur souveraineté dans toutes les cultures et sur tous les continents: polpette, kefta, köttbullar, falafels, nuong, bitki, matzoh, knödel... Quelle gastronomie ne connaît pas la boulette, «à son aise dans toutes les cuisines», comme le rappelle Pierre-Brice Lebrun?

Poêlées, plongées dans un bain de friture, mijotées en sauce, à la vapeur, en soupe, en sandwich, sur la pizza, crues, farcies; c'est l'art subtil d'accommoder les restes, symbole par excellence d'une cuisine familiale, nostalgique et économique. Qui ne craint ni les variations, ni l'à-peu-près, ni l'improvisation. Il suffit d'associer des ingrédients qui font la paire, viande hachée, un reste de poisson cuit, légumineuse ou chair de saucisse, d'ajouter quelques herbes, épices, piment, ail, échalote, fromage, noix ou fruits secs, un oeuf pour lier la farce et de la chapelure pour enrober. Et entre les paumes de ses mains, de s'approprier un geste immémorial, mille milliards de fois répété.

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RECETTES

1. Les boulettes de boeuf de Marie-Pier

Ingrédients

454 g de boeuf haché maigre

2 échalotes françaises finement hachées

1/2 tasse de chapelure

1 oeuf

Sel et poivre du moulin

Farine pour enrober les boulettes

Sauce

1 tasse de ketchup

1 tasse d'eau chaude

1 tasse de cassonade

1 c. à thé de moutarde sèche

1 petite dose de café expresso

1 c. à soupe de sauce Worcestershire

2 oignons verts ciselés

Une poignée de persil frais

Préparation

Mélanger la viande, les échalotes françaises, la chapelure, l'oeuf, le sel et le poivre. Former les boulettes et les rouler dans la farine. Les saisir dans une poêle, avec un peu d'huile d'olive, à feu moyen-élevé quelques minutes, pour les dorer. Transférer les boulettes dans un chaudron à fond épais.

Chauffer ensemble dans une casserole tous les ingrédients de la sauce. Verser sur les boulettes. Couvrir et enfourner pour 45 minutes à 400°F. Retirer ensuite le couvercle et poursuivre la cuisson pendant une vingtaine de minutes, pour laisser caraméliser un peu la sauce. Servir avec une bonne poignée de persil frais.

2. Les boulettes de sardine de Florence

Ingrédients

2 boîtes de sardines portugaises

Une poignée de menthe ciselée

Une poignée de coriandre ciselée

Le jus et le zeste d'un demi-citron

Quelques fines lanières de poivrons rouges rôtis

1 oeuf

1 c. à soupe de ras el-hanout (mélange d'épices)

Environ 1/2 tasse de chapelure

Sel et poivre du moulin

Farine pour enrober les boulettes

Huile d'olive pour la cuisson

Sauce

1/2 tasse de yogourt nature

1 gousse d'ail pressée

Quelques feuilles de menthe ciselée

Quelques feuilles de coriandre ciselée

Quelques gouttes de Piri piri (ou autre sauce piquante)

Sel et poivre du moulin

Préparation

1. Bien égoutter les sardines et les écraser à la fourchette au fond d'un bol. Ajouter les herbes, le jus de citron et le zeste, les poivrons rouges, l'oeuf et le ras el-hanout. Incorporer la chapelure peu à peu, et corriger la quantité au besoin, jusqu'à obtenir la texture parfaite, ni collante ni ferme, pour façonner les boulettes. Saler et poivrer. Fariner les boulettes et frire à feu moyen-vif, dans l'huile d'olive, 3 minutes de chaque côté. Servir avec la sauce au yogourt.

3. Les boulettes de lentilles rouges*

*Recette tirée de Su : la cuisine turque de Fisun Ercan, Montréal, Trécarré, 2011.

Ingrédients

1 tasse de lentilles rouges rincées

2 1/2 tasses d'eau

1/2 tasse de boulgour fin (#1)

1 oignon haché

3 c. à soupe d'huile d'olive

1 c. à soupe de pâte de tomate

1/2 c. à soupe de harissa

Sel et poivre du moulin

1 c. à thé de cumin fraîchement moulu

2 c. à soupe de jus de citron

Une poignée de persil haché

Sauce

1 tomate coupée en petits dés

Quelques feuilles de coriandre ciselée

Huile d'olive

Jus de citron

Sel de mer

Préparation

1. Faire mijoter les lentilles dans l'eau pendant environ 20 minutes à feu moyen. Ajouter le boulgour. Retirer la casserole du feu. Couvrir et laisser reposer de 15 à 20 minutes. Pendant ce temps, faire revenir l'oignon de 2 à 3 minutes dans l'huile d'olive, puis incorporer la pâte de tomate et la harissa. Saler, poivrer et ajouter le cumin.

2. Dans un bol, ajouter cette préparation au mélange de lentilles et de boulgour. Ajouter le jus de citron et remuer jusqu'à l'obtention d'une purée épaisse. Laisser tiédir et ajouter le persil. Une fois le mélange refroidi, former des quenelles et les servir froides, recouvertes de la sauce aux tomates fraîches.