Les 240 grands chefs du monde entier conviés à un dîner d'anthologie samedi soir, préparé au Louis XV par leur hôte monégasque Alain Ducasse, se sont levés de table visiblement subjugués, tant par ce qui s'était passé dans l'assiette que dans la salle.

Pour servir plus de 400 convives -les grandes toques cumulant 300 étoiles au guide Michelin, mais aussi le prince Albert de Monaco et la princesse Charlène-, 200 personnes en salle acheminaient dans un ballet synchronisé les plats préparés par 55 cuisiniers.

En préambule de ce spectacle gastronomique minuté, temps fort d'un week-end de célébration des 25 ans de Ducasse à la tête de son restaurant amiral monégasque, le chef français, qui avait placé une cagette de légumes sur chaque table, a évoqué ses années de travail pour affiner la cuisine méditerranéenne, «une cuisine des humbles, qui a montré qu'elle pouvait être une cuisine d'exception».

Le fils d'agriculteurs landais multi-étoilé, qui arpente la planète pour inspecter sa vingtaine de restaurants, a formé des centaines de cuisiniers dans sa «pépinière» monégasque.

Les professionnels de la haute gastronomie - habitués à servir un nombre de couverts confidentiel- ont pleinement mesuré le défi samedi soir. «Alain Ducasse est un dieu, tout arrive à la bonne température», s'émerveille Arnaud Lallement, un jeune chef champenois doublement étoilé.

«C'est génial de faire de la haute cuisine à ce niveau pour 400 personnes», s'extasie aussi l'Espagnol Joan Roca (trois étoiles), en mettant en exergue la tourte croustillante de gibiers à plumes aux saveurs sauvages. Elle avait été précédée par un délicat bouillon safrané à base de poissons de roche méditerranéens, avec des filets de rougets, de chapon, de Saint-Pierre et de dorade.

«Super ambitieux»

«C'est super ambitieux», souligne le grand pâtissier français Pierre Hermé, qui «a adoré la simplicité du dessert»: des fines tranches de coings et de pommes cuites au four.

Il évoque les exceptionnels gamberoni de San Remo, entourés d'une gelée transparente aux saveurs marines et d'une généreuse boule de caviar. Ou encore un succulent petit épeautre de Haute-Provence servi dans une assiette creuse avec de fines queues d'artichauts épineux et des tranches de truffe blanche d'Alba.

Hiroyuki Kanda, triplement étoilé à Tokyo, a particulièrement apprécié le premier plat très épuré qui «résume la philosophie d'Alain Ducasse et son rapport avec les produits régionaux». Une ronde de quinze légumes crus finement coupés comme des pétales (courgette trompette, radis noir, endive rouge...) à tremper dans une pâte onctueuse d'olive.

Pour marier toutes ces saveurs, les sommeliers ont fait une sélection de huit millésimes rares accompagnant chaque plat, dont par exemple deux champagnes dévoilés pour la toute première fois: un Dom Pérignon Vintage Rosé 1995 aux goûts d'agrume, ou encore un Dom Pérignon Oenothèque Vintage 1993.

Suivis en particulier d'un Château Cheval Blanc 2004 (Saint-Emilion, premier grand cru classé A) et d'un Château d'Yquem 1988 (Sauternes, premier cru supérieur).

Avant l'arrivée des derniers petits plaisirs sucrés gorgés de crème d'amande ou de purée de noisette, Alain Ducasse rend hommage à toute la brigade qui décompresse enfin aux côtés des chefs Franck Cerutti et Dominique Lory.