Le boeuf contaminé par l'E. coli vous a enlevé le goût du steak? Mark Post, chercheur néerlandais, propose une solution: de la viande «élevée» en laboratoire, loin de tout abattoir. Il promet de dévoiler bientôt son premier hamburger invitro, créé à partir de cellules souches bovines. Future bonne chère ou chimère?

Le premier hamburger fait de viande in vitro sera cuit bientôt. C'est le chercheur néerlandais Mark Post qui l'a annoncé. «Nous sommes en voie de valider le concept selon lequel des burgers de boeuf peuvent être cultivés en laboratoire, à partir d'un petit nombre de cellules souches bovines», a indiqué le physiologiste lors d'une présentation à Montréal, en août.

Prévue ce mois-ci, la présentation de ce burger futuriste est remise à plus tard. «La date de lancement du hamburger n'est pas confirmée, mais ce ne sera pas en octobre», précise Agnish Ray, porte-parole du chercheur.

Incroyable mais vrai, le projet est réalisable, à condition d'oublier le boeuf AAA et de plutôt rêver au... Paris Pâté de synthèse. «La technologie de base n'est pas nouvelle, observe Nicholas J. Genovese, du département des sciences animales de l'Université du Missouri. En laboratoire, on crée des tissus d'espèces animales d'intérêt agronomique depuis 20 ans. Mais ce n'est que récemment qu'on s'est mis à en produire pour consommation humaine.»

«La viande in vitro est une possibilité sérieuse», confirme par courriel Morgaine Gaye, consultante londonienne autoproclamée «futurologiste alimentaire». «C'est une vraie réponse aux problèmes auxquels nous faisons face, comme la cruauté envers les animaux, leurs impacts négatifs sur l'environnement et les pénuries de céréales.»

Plus mince qu'un carpaccio

Brigitte Picard, de l'Institut national de recherche agronomique de France, ramène ces espoirs sur le plancher des vaches. «Pour l'instant, ce qu'on sait faire in vitro, c'est une monocouche de cellules qui n'a même pas l'épaisseur d'un carpaccio, explique-t-elle. On est très, très loin de la viande, qui a une architecture tridimensionnelle, avec différents composants.»

Gabor Forgacs, physicien et biologiste à l'Université du Missouri, a été le premier à manger devant public une bandelette blanchâtre de porc de labo, à San Diego, il y a un an. Longue de 3 cm, sa «viande» était large de 1 cm, pour 1 mm d'épaisseur. «On n'est pas rendus à ouvrir un buffet à volonté, mais on espère y arriver», a-t-il blagué avant de cuire sa création à la poêle.

Son rival, M. Post, calcule qu'il lui faudra 3000 bandelettes de boeuf in vitro pour créer une seule boulette à hamburger, sorte d'agglomérat de cellules musculaires et de gras. «Des procédés technologiques acceptés en alimentation seront utilisés pour assurer un goût et une texture satisfaisants», précise un communiqué de l'Université de Maastricht.

Coût d'un seul hamburger? Quelque 380 000$. «J'estime que cette viande pourra être produite à grande échelle d'ici 10 à 20 ans», a dit M. Post au quotidien anglais The Guardian.

«Ça ne sera jamais compétitif»

«Il ne faut jamais dire que c'est impossible: il y a 20 ans, on n'avait pas de téléphones intelligents», rappelle Serge Pommier, conseiller scientifique chez Olymel. Il a assisté à la présentation de M. Post au Congrès international des sciences et technologies des viandes, à Montréal, en août. «L'auditoire était intéressé, mais sceptique», résume-t-il.

Si le SPAM de labo s'en vient, le chemin vers un vrai steak-éprouvette sera plus long. «On peut facilement produire des cellules musculaires, convient M. Pommier. Mais leur conférer une certaine structure, en créant des échafaudages de différents matériaux, pour tenter de reproduire la texture de la viande naturelle? Ça demandera beaucoup de travail.»

François Auger, directeur du Laboratoire d'organogénèse expérimentale de Québec, n'y croit pas. «Ça ne sera jamais compétitif, jamais, jamais, jamais, tranche-t-il. Je ne vois pas ça dans les 30, 40 ou 50 prochaines années. Ça va faire des steaks d'un quart de livre à 50 000$! On va obliger ces cultures à être absentes de virus, et quand vous mettez le mot stérile, vous décuplez le prix. C'est chimérique.»

«Nous devrons travailler énormément pour réussir à produire de la viande de haute qualité à un coût avantageux, mais la plupart des étapes qu'il reste à franchir sont d'ordre technique, a souligné M. Post en février. Avec suffisamment d'efforts et de ressources, nous réglerons ces problèmes.»

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La viande de labo peut-elle...

Être appétissante?

Il faut outrepasser son dégoût initial pour songer à manger de la viande in vitro, reconnaît Élise Desaulniers, conférencière en éthique alimentaire. «Mais si le goût est là et qu'elle est plus accessible que la vraie viande, les consommateurs devraient suivre, prédit-elle. Après tout, ce n'est pas plus dégoûtant ou moins naturel que le Pink Slime [un amalgame de viande traité à l'ammoniaque utilisé dans les hamburgers de McDonald's aux États-Unis, jusqu'à récemment].»

Alain Girard, sociologue à l'UQAM, en est moins sûr. «On touche à un des points les plus fondamentaux de notre rapport aux aliments et aux animaux, analyse-t-il. On remet en question le fait de savoir ce qu'est un aliment, d'où viennent ses propriétés gustatives et son aspect, même son "supplément d'âme", puisque c'est un animal vivant.»

Sauver la planète?

Il faut jusqu'à 15 000 litres d'eau pour produire 1 kg de boeuf. «Nos pratiques actuelles de production de viande ne sont tout simplement pas durables, a dit Mark Post, un chercheur qui travaille à créer de la viande de labo, dans un communiqué. Il faut trouver des solutions de rechange.»

Faire pousser de la viande invitro exigerait 99% moins de terres, 45% moins d'énergie, 96% moins d'eau et émettrait 96% moins de gaz à effet de serre que produire du boeuf de façon courante, selon une étude de l'Université d'Oxford.

Greenpeace «n'a pas de position très développée au sujet de la viande in vitro, parce qu'il s'agit pour l'instant d'un prototype de recherche en laboratoire, assez loin de la commercialisation», indique Éric Darier, directeur de l'organisme au Québec.

Nourrir 9 milliards d'humains?

La production de viande devra doubler d'ici 2050 pour satisfaire la demande mondiale grandissante, selon la FAO. Déjà, les pâturages couvrent 26% des terres de la planète et le tiers des terres arables sert à faire pousser du fourrage. Le boeuf in vitro permettra de fournir des protéines aux neuf milliards de Terriens de 2050, qui ne pourront pas tous se payer de la vraie viande, prédit Mark Post.

«Il serait plus efficace de diminuer notre consommation de viande et, surtout, de réduire les pertes de produits alimentaires», observe Alain Girard, de l'UQAM. Le tiers des aliments produits chaque année dans le monde est gaspillé, d'après la FAO.

Être meilleure pour notre santé?

Pas de risque d'être infecté par l'E. coli en mangeant un steak-éprouvette. Pour qu'il soit meilleur pour la santé qu'un steak ordinaire, on pourrait même l'enrichir en acides gras polyinsaturés, suggère Mark Post.

Mais cette viande ne serait peut-être pas si saine. Un cocktail d'antibiotiques, d'antifongiques et d'hormones doit être donné aux cellules musculaires pour qu'elles croissent sans contamination.

«On reproche aux éleveurs, surtout en Amérique du Nord, de faire grand usage d'hormones de croissance et d'antibiotiques sur leurs animaux, souligne Alain Girard. Avec la viande in vitro, on n'est pas plus avancés.»

Réduire la souffrance animale?

PETA offre 1 million de dollars américains au premier laboratoire qui créera du poulet in vitro viable commercialement. «Les Américains mangent un million de poulets par heure, ce million les représente», explique Ingrid Newkirk, présidente et cofondatrice du groupe de défense des animaux.

Beaucoup de gens refusent de devenir végétariens. «On pourra leur dire: O.K., tu peux manger de la chair animale produite éthiquement, sans souffrance», souhaite-t-elle. Christian Dauth, porte-parole des Éleveurs de volailles du Québec, dit suivre le dossier «de près».

Au lieu de faire du poulet, pourquoi ne pas cultiver de la viande de panda, de zèbre ou de koala en labo?

Aider les malades et les athlètes?

Cultiver de la viande in vitro est intéressant, «pour toute l'information fondamentale sur la physiologie du muscle qui peut en découler», avance Linda Saucier, professeure-chercheuse au département des sciences animales de l'Université Laval.

Cela pourrait faire émerger des hypothèses scientifiques sur le traitement de la dystrophie musculaire, un meilleur développement de la masse musculaire par la nutrition par opposition au dopage, etc. «L'inconnu nous fait souvent peur, alors qu'il devrait nous fasciner, observe-t-elle. Si on est capables de produire des médicaments, des vaccins, des aliments de façon sûre, je n'anticipe pas de problèmes pour la viande invitro. Mais c'est vrai que là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie.»

Être abordable?

Cultiver en laboratoire de la peau humaine artificielle pour les grands brûlés, c'est ce que fait François Auger, directeur du Laboratoire d'organogénèse expérimentale, à Québec. «Cela coûte de 140 000$ à 150 000$ pour couvrir quelqu'un qui a été brûlé à 85%, indique-t-il. On nous donne la permission de le faire parce qu'il n'y a rien d'autre qui peut sauver le patient.»

Mais comment justifier de créer un hamburger in vitro à 380 000$, comme le fait Mark Post? «Il y a des races d'animaux qui donnent une viande qui est abondante, dit le Dr Auger. Tout a été optimisé pour les alimenter le mieux et le moins possible. La recherche en laboratoire ne pourra jamais concurrencer ça.»

Les travaux de M. Post sont financés par le gouvernement néerlandais et un bailleur de fonds privé anonyme.

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Comment faire de la viande de labo?

1 Des cellules souches musculaires de boeuf sont prélevées par biopsie.

2 Elles sont placées dans une boîte de Petri, dans du sérum foetal de veau. «Plus tard, le milieu de culture devrait être entièrement synthétique», a écrit le chercheur Mark Post dans Meat Science.

3 Les cellules se multiplient (prolifération), puis acquièrent les caractéristiques de fibres musculaires (différenciation).

4 Elles sont étirées entre deux points d'ancrage de Velcro, pour leur faire faire de l'exercice. Leur tendance innée à se contracter les fait gagner de la masse.

5 Les cellules sont aussi stimulées avec de l'électricité.

6 Elles deviennent peu à peu de minces bandelettes de cellules musculaires, incolores. Mark Post estime qu'il lui faut 3000 de ces bandelettes de cellules pour faire une seule boulette à hamburger.

Sources: Brigitte Picard, Isabelle Cassar-Malek, Université de Maastricht, Meat Science