La révolution fromagère des 20 dernières années au Québec n'a pas seulement fait des heureux ici. Elle a aussi fait des émules de l'autre côté de la frontière américaine, au Vermont, où les fromageries artisanales ont le vent en poupe. Et font beaucoup, beaucoup mieux que le classique american cheese orange. Tour d'horizon.

Un dimanche d'été, 11 h. La file de voitures est déjà longue devant l'entrée de la ferme Shelburne, qui accueille le quatrième festival annuel des fromages du Vermont. À 40$ chacun, les 1500 billets se sont écoulés en quelques semaines à peine, tant auprès de professionnels que de gourmands, curieux de goûter les meilleures pâtes de la quarantaine d'artisans fromagers répertoriés dans cet État si particulier.

Yannick Achim, propriétaire de quatre fromageries (à Outremont, Dollard-des-Ormeaux, Québec et Saint-Jérôme), est du groupe. Il a fait le voyage de Montréal pour voir de près ce qui se trame au sud du Québec, toujours à l'affût d'une bonne pâte à ajouter dans ses rayons. «Moi aussi, au départ, j'avais plein de préjugés, je m'attendais à trouver seulement des mozzarellas et des bricks», confie-t-il. Mais lorsqu'on lui a demandé d'être juge au prestigieux concours de l'American Cheese Society (ACS), il a découvert qu'il avait tout faux et a fait «de très belles découvertes», à commencer par l'excellent crottin de la Vermont Butter and Cheese Creamery, qui ne ferait pas mauvaise figure sur un plateau en France. Le fromage a d'ailleurs gagné le prix du meilleur chèvre frais au World Championship Contest en 2012.

Le Vermont est l'un des territoires d'Amérique ayant remporté le plus de titres lors du dernier concours de l'ACS, après la Californie - autrement plus populeuse - et... le Québec, bien sûr.

Réputé pour son ouverture d'esprit et sa fibre écolo, le Vermont a le profil tout désigné pour devenir le nouvel eldorado des fromages fins au pays de l'Oncle Sam, où règne souvent le fromage fondu orange fluo ou au parfum de fraise. «Nous sommes un État très agricole, avec beaucoup de fermes laitières d'assez petite taille se souciant davantage de la qualité que de la quantité», dit Rachel Shaale, l'une des organisatrices du festival. En campagne, les agriculteurs biologiques s'affichent fièrement et placardent des messages du genre «Mangez du chou frisé!» et «Mangez local!». On est loin des cultures extensives du Montana.

Comme au Québec, plusieurs fermiers ont d'abord tâté la transformation laitière pour s'assurer de meilleurs revenus sans agrandir leurs installations et leur troupeau. Le savoir-faire s'est développé petit à petit, avec la création d'un premier Cheese Council, en 1995, puis, 10 ans plus tard, avec l'ouverture de l'Institut pour le fromage artisanal (Vermont Institute for Artisan Cheese at the University of Vermont), le premier (et à ce jour le seul) centre d'expertise du genre des États-Unis. C'est un passage obligé pour les fermiers, qui y apprennent aussi bien le respect des normes sanitaires que des trucs pour améliorer leurs produits.

L'expertise s'acquiert encore souvent à l'étranger, dans les écoles françaises, voire auprès d'experts du Québec, qui viennent à l'occasion y donner des formations. La maison d'affinage Jasper Hill a eu recours aux services du Lyonnais Hervé Mons pour parfaire ses techniques de vieillissement dans ses gigantesques celliers de près de 2000 m2, la Maplebrook a fait venir un Italien des Pouilles pour ses Burratas, etc.. De son côté, la Creamery Cheese a non seulement recruté une Française diplômée de l'école de fromages artisanaux, Adeline Druart, mais projette maintenant de construire une ferme-école pour mener des recherches sur les façons d'améliorer la qualité - et non la quantité - du lait de chèvre et offrir des formations aux éleveurs.

«Le Vermont, observe Yannick Achim, est à peu près au même point que le Québec il y a 10 ans. Maintenant que les artisans maîtrisent les bases de la fabrication du fromage, ils veulent en faire de meilleurs et, pour cela, on ne réinvente pas la roue: il faut améliorer le savoir-faire et améliorer la qualité du lait.»

«Nous avons une communauté qui s'entraide beaucoup, note Rachel Shaale, et les fromageries les plus établies n'hésitent pas à donner un coup de pouce aux autres.»

L'élevage de brebis a notamment reçu un fier coup de pouce quand la famille Ielpi Major a fondé, au début des années 90, la Vermont Shepherd, entraînant dans son sillage six bergeries des environs. Leurs fromages sont aujourd'hui parmi les plus réputés du pays.

Une menacepour le Québec?

En fait, l'industrie vermontoise va si bien qu'elle suscite même certaines craintes de ce côté-ci de la frontière. «Le Vermont a le vent dans les voiles! Les fromageries ont tout en main pour faire de très bons produits, et il y a d'excellents centres de recherche pour les aider. Quand leurs fromages vont arriver au Québec, ça risque d'être dur pour certains», prédit Suzanne Dufresne, de la fromagerie Au Gré des champs, en Montérégie.

D'autant plus que, échaudés par l'épisode de listériose qui les a touchés en 2008, plusieurs artisans ont délaissé le lait cru au profit du lait thermisé ou pasteurisé, alors que plus des deux tiers des fromagers du Vermont l'utilisent toujours. «Et le lait cru, c'est LA meilleure expression du terroir. C'est le top», martèle Mme Dufresne.

N'empêche qu'à ce jour, les fromages du Vermont distribués au Québec sont rares, hormis les chèvres de la Vermont Cheese&Butter Creamery et quelques pâtes affinées par la maison Jasper Hill, que l'on trouve notamment à la fromagerie du marché Atwater ou chez Yannick Achim. Si Jasper Hill projette d'accroître sa distribution au Québec, plusieurs autres petites maisons se disent découragées par les formalités douanières et préfèrent se tourner vers l'État de New York, à peine plus loin et fort populeux.

«Quand les fromagers québécois me demandent s'ils ont à craindre la progression du Vermont, j'aime bien leur dire que oui, dit Yannick Achim. Pour qu'ils ne cessent jamais de chercher à faire toujours mieux et ne se reposent pas sur leurs lauriers...»